Changement climatique et conflits armés : le lien est établi
Par Juliette Garain
Le 11 juillet 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a débattu sur la question suivante : le réchauffement climatique favorise-t-il les conflits armés ? Ils ont sobrement conclu une fois de plus que le changement climatique était un « multiplicateur de menaces ». Autrement dit, le changement climatique exacerbe des tensions politiques, sociales, et économiques préexistantes.
Un débat naissant d’un cas concret
Cette réunion du Conseil de Sécurité mentionnait un cas concret : la situation autour du lac Tchad. Car si les Nations Unies prévoyaient, en 2008, une augmentation des conflits politiques liés au réchauffement climatique dans les années futures, il s’agit aujourd’hui d’une réalité.
Un débat naissant d’un cas concret
Cette réunion du Conseil de Sécurité mentionnait un cas concret : la situation autour du lac Tchad. Car si les Nations Unies prévoyaient, en 2008, une augmentation des conflits politiques liés au réchauffement climatique dans les années futures, il s’agit aujourd’hui d’une réalité.
Source : Google Maps, 2018
Le bassin du lac Tchad se situe dans une région située à cheval entre le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Dans les années 1960, le lac s’étendait sur environ 25 000 km². Aujourd’hui, suite aux changements climatiques et à la surpopulation, il ne se déploie plus que sur un dixième de cette superficie. À ce rythme, le lac pourrait disparaitre entièrement dans 20 ans.
Cette région, fortement vulnérable au changement climatique, est caractérisée par une pauvreté extrême. L’assèchement du lac n’a fait qu’attiser les tensions économiques et sociales qui s’y jouaient. C’est dans cette situation précaire qu’est apparu un groupe terroriste : Boko Haram. Cette secte islamique s’est muée en groupe armé en 2009, au Nigeria, et s’est étendue jusqu’au Cameroun, au Niger et au Tchad. Selon Daniel Dickinson, journaliste à ONU news, « la marginalisation socioéconomique a ainsi exposé les populations, notamment les jeunes, au risque de l’extrémisme violent et a offert un terreau fertile à leur recrutement par des groupes tels que Boko Haram ».
La sécurité : un levier d’action international
Si en 2009, de nombreux articles mentionnaient la situation écologique préoccupante de la région, aujourd’hui, on ne parle plus que de crise humanitaire et de la lutte antiterroriste qui s’y rapporte. Il s’agit d’un discours de type sécuritaire. L’aspect sécuritaire du changement climatique est un moyen de porter le sujet dans les plus hautes sphères politiques, mais également de débloquer l’aide internationale, selon Christel Cournil et Benoît Mayer[1]. Cependant, comme le souligne ces auteurs, les discours sécuritaires engendrent des réponses aux menaces existantes, et non une coopération sur le long terme visant à éviter de telles menaces.
En effet, suite à l’introduction du groupe terroriste Boko Haram dans la région, l’aide internationale s’est multipliée. Cette aide a pris la forme d’aide humanitaire, mais aussi d’aide militaire. La médiatisation de la crise aux alentours du lac Tchad a vu la réactualisation d’un projet de barrage, aussi vieux que la Commission du bassin du Lac Tchad, créée en 1964. Ce projet, qui a subi des modifications, vise aujourd’hui à construire un canal de 2 600 km, afin de détourner les eaux du bassin du Congo pour réapprovisionner le lac Tchad.
Interviewé par France Culture, le géographe Christian Seignobos juge que cette solution est liée à l’urgence de la situation : « il faut faire vite, parce qu’il y a insécurité ». Or, cet empressement empêche, selon lui, de bien raisonner.
Agir vite, agir bien ?
Ce projet de barrage implique bien des difficultés. Le coût, d’une part : 14 milliards de dollars. Des complications d’ordre politique, d'autre part : le détournement de l’eau du bassin du Congo vers celui du lac Tchad traversera deux pays en conflit, la RDC et la Centrafrique. L’aspect technique n’est pas à négliger non plus, car pour son fonctionnement, il faudrait élever les eaux des affluents du bassin du Congo.
Un projet de grande ampleur, jugé indispensable par le président nigérien, Mahamadou Issoufou.
Indispensable ? Surtout controversé. En effet, en dehors des questions de faisabilité, certains s’interrogent même sur l’utilité d’un tel projet. Car si les changements climatiques rendent plus vulnérables des populations déjà fragilisées, c’est sans compter leur capacité d'adaptation.
En effet, l’étude Le développement du lac Tchad, révèle que les nouvelles terres émergées ont permis aux habitants de développer des cultures productives, telles que le riz, le maïs ou le niébé. Comme le souligne Christian Seignobos, quand les eaux se retirent, cultivateurs et éleveurs arrivent sur des terres abondantes. Relever le niveau d’eau du lac mènerait à un nouveau bouleversement de ce système agricole.
Le discours sécuritaire sur le changement climatique permet donc de médiatiser certaines situations et puis d’aider, financièrement, politiquement, militairement certaines régions vulnérables du monde, mais a un corolaire à ne pas oublier : l’empressement à agir. Et ce dernier pourrait être néfaste.
Et la COP dans tout ça ?
Considéré comme multiplicateur de menaces, il n'y a pas de corrélation directe établie entre changement climatique et conflit dans les précédentes COP. Le lien retenu entre ces évènements est celui de la diminution des ressources naturelles. C'est pourquoi l'accord de Paris mentionne notamment la sécurité alimentaire, comme point à développer dans les prochaines années. L'agriculture durable devant être privilégiée, avec des points d'action précis, à l'instar de la lutte contre la pénurie d'eau.
Cependant, certaines voix s'élèvent et demandent de prendre plus en considération le lien entre changement climatique et conflits. L'ONU, dans une de ses chroniques, appelle à "améliorer le processus d’apprentissage et examiner de nouvelles voies pour déterminer la corrélation entre changements climatiques et conflit et faire preuve d’un plus grand empirisme pour trianguler la gestion des ressources naturelles, les changements climatiques et les conflits". Développer une approche scientifique sur cette corrélation pourrait éviter de gérer dans l'urgence des situations de tensions politiques liées aux changements climatiques.
[1] Cournil, Christel et Mayer, Benoît, 2014. Les migrations environnementales, Presses de Sciences Po, Paris.
Le bassin du lac Tchad se situe dans une région située à cheval entre le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Dans les années 1960, le lac s’étendait sur environ 25 000 km². Aujourd’hui, suite aux changements climatiques et à la surpopulation, il ne se déploie plus que sur un dixième de cette superficie. À ce rythme, le lac pourrait disparaitre entièrement dans 20 ans.
Cette région, fortement vulnérable au changement climatique, est caractérisée par une pauvreté extrême. L’assèchement du lac n’a fait qu’attiser les tensions économiques et sociales qui s’y jouaient. C’est dans cette situation précaire qu’est apparu un groupe terroriste : Boko Haram. Cette secte islamique s’est muée en groupe armé en 2009, au Nigeria, et s’est étendue jusqu’au Cameroun, au Niger et au Tchad. Selon Daniel Dickinson, journaliste à ONU news, « la marginalisation socioéconomique a ainsi exposé les populations, notamment les jeunes, au risque de l’extrémisme violent et a offert un terreau fertile à leur recrutement par des groupes tels que Boko Haram ».
La sécurité : un levier d’action international
Si en 2009, de nombreux articles mentionnaient la situation écologique préoccupante de la région, aujourd’hui, on ne parle plus que de crise humanitaire et de la lutte antiterroriste qui s’y rapporte. Il s’agit d’un discours de type sécuritaire. L’aspect sécuritaire du changement climatique est un moyen de porter le sujet dans les plus hautes sphères politiques, mais également de débloquer l’aide internationale, selon Christel Cournil et Benoît Mayer[1]. Cependant, comme le souligne ces auteurs, les discours sécuritaires engendrent des réponses aux menaces existantes, et non une coopération sur le long terme visant à éviter de telles menaces.
En effet, suite à l’introduction du groupe terroriste Boko Haram dans la région, l’aide internationale s’est multipliée. Cette aide a pris la forme d’aide humanitaire, mais aussi d’aide militaire. La médiatisation de la crise aux alentours du lac Tchad a vu la réactualisation d’un projet de barrage, aussi vieux que la Commission du bassin du Lac Tchad, créée en 1964. Ce projet, qui a subi des modifications, vise aujourd’hui à construire un canal de 2 600 km, afin de détourner les eaux du bassin du Congo pour réapprovisionner le lac Tchad.
Interviewé par France Culture, le géographe Christian Seignobos juge que cette solution est liée à l’urgence de la situation : « il faut faire vite, parce qu’il y a insécurité ». Or, cet empressement empêche, selon lui, de bien raisonner.
Agir vite, agir bien ?
Ce projet de barrage implique bien des difficultés. Le coût, d’une part : 14 milliards de dollars. Des complications d’ordre politique, d'autre part : le détournement de l’eau du bassin du Congo vers celui du lac Tchad traversera deux pays en conflit, la RDC et la Centrafrique. L’aspect technique n’est pas à négliger non plus, car pour son fonctionnement, il faudrait élever les eaux des affluents du bassin du Congo.
Un projet de grande ampleur, jugé indispensable par le président nigérien, Mahamadou Issoufou.
Indispensable ? Surtout controversé. En effet, en dehors des questions de faisabilité, certains s’interrogent même sur l’utilité d’un tel projet. Car si les changements climatiques rendent plus vulnérables des populations déjà fragilisées, c’est sans compter leur capacité d'adaptation.
En effet, l’étude Le développement du lac Tchad, révèle que les nouvelles terres émergées ont permis aux habitants de développer des cultures productives, telles que le riz, le maïs ou le niébé. Comme le souligne Christian Seignobos, quand les eaux se retirent, cultivateurs et éleveurs arrivent sur des terres abondantes. Relever le niveau d’eau du lac mènerait à un nouveau bouleversement de ce système agricole.
Le discours sécuritaire sur le changement climatique permet donc de médiatiser certaines situations et puis d’aider, financièrement, politiquement, militairement certaines régions vulnérables du monde, mais a un corolaire à ne pas oublier : l’empressement à agir. Et ce dernier pourrait être néfaste.
Et la COP dans tout ça ?
Considéré comme multiplicateur de menaces, il n'y a pas de corrélation directe établie entre changement climatique et conflit dans les précédentes COP. Le lien retenu entre ces évènements est celui de la diminution des ressources naturelles. C'est pourquoi l'accord de Paris mentionne notamment la sécurité alimentaire, comme point à développer dans les prochaines années. L'agriculture durable devant être privilégiée, avec des points d'action précis, à l'instar de la lutte contre la pénurie d'eau.
Cependant, certaines voix s'élèvent et demandent de prendre plus en considération le lien entre changement climatique et conflits. L'ONU, dans une de ses chroniques, appelle à "améliorer le processus d’apprentissage et examiner de nouvelles voies pour déterminer la corrélation entre changements climatiques et conflit et faire preuve d’un plus grand empirisme pour trianguler la gestion des ressources naturelles, les changements climatiques et les conflits". Développer une approche scientifique sur cette corrélation pourrait éviter de gérer dans l'urgence des situations de tensions politiques liées aux changements climatiques.
[1] Cournil, Christel et Mayer, Benoît, 2014. Les migrations environnementales, Presses de Sciences Po, Paris.