Comme un OVNI à Marrakech
Tel un astronef débarquant sur une autre planète, la COP22 a atterri à Marrakech. La ville s’est transformée pour héberger l’événement et son image est valorisée. Le contraste avec la situation sociale marocaine pose sérieusement question…
Au-delà des négociations climatiques en soi, la COP22 est le fruit d’un chantier colossal. Des moyens humains et matériels considérables ont été mobilisés pour que la ville de Marrakech soit en mesure d’accueillir les milliers de participants attendus et les nombreux évènements programmés [1]. Situé dans la zone de Bab Ighli, le site de la COP22 n’était jusqu’alors qu’un terrain vague ceinturé de routes. C’est un véritable village de négociations qui y a été développé : des grands espaces de conférences, des stands d’organisations diverses, des pavillons de délégations, des lieux de restaurations, des points de contrôle de sécurité, des voiries piétonnes, des infrastructures informatiques, des décorations végétales, etc. Mais les aménagements dépassent de loin le site de la COP22. C’est la ville même de Marrakech qui s’est transformée pour l’occasion…ou plutôt devrait-on dire certains quartiers.
En effet, les nouveaux aménagements qui émergent pour la COP22 se sont focalisés sur les zones de Bab Ighli, le centre historique de la Medina et le « quartier européen » Gueliz. Ces trois zones ont concentré les visiteurs internationaux durant la COP22. Des nouveaux espaces publics et voiries ont été créés, avec leurs lots d’arbres plantés en ligne, de fontaines, de lampadaires à ampoule Light-Emitting Diode (LED) ou à énergie solaire, de décorations COP22 de toute sorte, de projections de vidéos sur les murs durant la nuit, de peintures, etc. À côté de ça, la mobilité n’est pas en reste. Les autorités de la ville ont investi dans des bus électriques publics, un système de vélos partagés et des autocollants COP22 pour les taxis. Ils ont même été jusqu’à fournir « un soutien financier et logistique aux 148 calèches de Marrakech pour la tapisserie des fauteuils et l’équipement en lampes solaires » [2].
En effet, les nouveaux aménagements qui émergent pour la COP22 se sont focalisés sur les zones de Bab Ighli, le centre historique de la Medina et le « quartier européen » Gueliz. Ces trois zones ont concentré les visiteurs internationaux durant la COP22. Des nouveaux espaces publics et voiries ont été créés, avec leurs lots d’arbres plantés en ligne, de fontaines, de lampadaires à ampoule Light-Emitting Diode (LED) ou à énergie solaire, de décorations COP22 de toute sorte, de projections de vidéos sur les murs durant la nuit, de peintures, etc. À côté de ça, la mobilité n’est pas en reste. Les autorités de la ville ont investi dans des bus électriques publics, un système de vélos partagés et des autocollants COP22 pour les taxis. Ils ont même été jusqu’à fournir « un soutien financier et logistique aux 148 calèches de Marrakech pour la tapisserie des fauteuils et l’équipement en lampes solaires » [2].
Source : Takver (Flickr)
Il apparaît qu’au motif d’utilité publique et au souci environnemental se joint une volonté de valoriser l’image de Marrakech, et plus largement du Maroc [3]. La COP22 en tant qu’événement fait office de véritable vitrine internationale pour la ville. C’est une occasion de montrer aux pays du monde entier ses qualités et d’appuyer son aspect écologique. Les potentielles répercussions économiques concernent le tourisme, secteur essentiel de l’économie de Marrakech, mais également plus largement l’attractivité de la ville aux yeux d’investisseurs de tous bords. Le secteur privé local a d’ailleurs bien compris l’importance de faire apparaître le souci environnemental. De nombreux panneaux publicitaires aux alentours du site de la COP affichent des sociétés qui se mettraient au « vert ». Certains spots jouent sur une compréhension caricaturale des enjeux environnementaux (e.g. promotion de nouveaux logements de luxe pleins d’espaces verts, principalement composés de gazon). À ce sujet, deux habitants de Marrakech et militants associatifs, Fatima Al Aoui et Hassan Taougar [4], nous livrent que « la plupart des habitants ne savent pas même ce que c’est l’environnement. Ils ne voient que ce qui passe sur les chaînes nationales. Pour les Marocains, l’environnement c’est juste ne pas mettre ses déchets dans la rue ». C’est à se demander à quel point l’accent mis sur le côté écologique de Marrakech n’est qu’un vernis de façade.
Source : Climate Alliance Org. (Flickr)
De façade il est également question lorsqu’on observe le positionnement des autorités face au contexte social de Marrakech et plus largement du Maroc. Fatima et Hassan déclarent à ce propos que les sans-abri des principaux quartiers touristiques de la ville ont été déplacés en prévision de la COP. En parallèle, les rues ont été régulièrement nettoyées et des forces supplémentaires de police et de l’armée ont été déployées, toujours dans les mêmes zones. « Ce que vous voyez de la COP22, ce n’est pas la réalité. La plupart des Marocains sont des pauvres. », nous dit Hassan. « L’image que tu vois ici à Gueliz, à Medina, ce n’est pas la même image de Marrakech que tu vois aux alentours ». Le portrait du Maroc qu’ils nous décrivent est à mille lieues de ce qu’on a pu entendre à la COP. Misère sociale, patriarcat, islamisme d’Etat et autoritarisme contrastent de fait avec l’image d’un royaume juste et prospère que la présidence marocaine a pu promouvoir. Au cœur des problèmes dont nos interlocuteurs témoignent se trouve le Roi Mohamed VI.
Il faut dire que la monarchie marocaine occupe une place bien plus importante dans la gouvernance du pays que ce qu’on peut connaître avec la famille royale belge. Premier acteur économique du pays, le Roi domine les grands secteurs de la société marocaine. Il s’est implanté par le biais de sociétés privées dans le système bancaire, l’énergie, les transports, l’agroalimentaire, les télécoms, etc. [5] La « double privatisation », (gestion par les entreprise et domination du roi sur celles-ci) qui touche le Maroc n’est pas neuve et continue de se développer, parallèlement à la mise en place de politiques d’austérité [6]. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont également touchés. En addition à sa position d’entrepreneur, le Roi cumule les positions de chef de l’exécutif et du judiciaire. Il a même un statut religieux de « prince des croyants ». L’islam, profondément ancré dans la culture locale, est d’ailleurs un élément essentiel de la constitution marocaine [7]. Hassan ajoute : « on manque de tout sauf de mosquées. Le côté religieux doit toujours être présent, car ça aide au maintien du système ». Au cas où cela ne serait pas suffisant, les forces de l’ordre participent elles aussi à maintenir l’ordre établit. Fatima fait état de violences policières fréquentes, allant de la répression de manifestants à l’enlèvement d’opposants politiques, en passant des pratiques comme la menace ou la torture. Enfin, la contestation du pouvoir en place elle-même est rendue difficile. La critique de la personne du Roi étant prohibée par la constitution, l’illégalité est au coin de la rue pour les opposants. Avoir accès à des espaces publics leur est interdit et les médias nationaux, majoritairement favorables à la société marocaine, leurs sont très peu accessibles. De plus, l’alphabétisation des habitants reste loin d’être absolue, ce qui limite les possibilités de sensibilisation [8].
Il faut dire que la monarchie marocaine occupe une place bien plus importante dans la gouvernance du pays que ce qu’on peut connaître avec la famille royale belge. Premier acteur économique du pays, le Roi domine les grands secteurs de la société marocaine. Il s’est implanté par le biais de sociétés privées dans le système bancaire, l’énergie, les transports, l’agroalimentaire, les télécoms, etc. [5] La « double privatisation », (gestion par les entreprise et domination du roi sur celles-ci) qui touche le Maroc n’est pas neuve et continue de se développer, parallèlement à la mise en place de politiques d’austérité [6]. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont également touchés. En addition à sa position d’entrepreneur, le Roi cumule les positions de chef de l’exécutif et du judiciaire. Il a même un statut religieux de « prince des croyants ». L’islam, profondément ancré dans la culture locale, est d’ailleurs un élément essentiel de la constitution marocaine [7]. Hassan ajoute : « on manque de tout sauf de mosquées. Le côté religieux doit toujours être présent, car ça aide au maintien du système ». Au cas où cela ne serait pas suffisant, les forces de l’ordre participent elles aussi à maintenir l’ordre établit. Fatima fait état de violences policières fréquentes, allant de la répression de manifestants à l’enlèvement d’opposants politiques, en passant des pratiques comme la menace ou la torture. Enfin, la contestation du pouvoir en place elle-même est rendue difficile. La critique de la personne du Roi étant prohibée par la constitution, l’illégalité est au coin de la rue pour les opposants. Avoir accès à des espaces publics leur est interdit et les médias nationaux, majoritairement favorables à la société marocaine, leurs sont très peu accessibles. De plus, l’alphabétisation des habitants reste loin d’être absolue, ce qui limite les possibilités de sensibilisation [8].
Source : Alexandre Orban
Bref, le diagnostic social du Maroc contemporain reste d’une rare amertume. Que ce soit au niveau de la pauvreté des Marocains qui est cachée, du cumul des pouvoirs de Mohamed VI ou de la censure institutionnalisée des médias, la société marocaine pose sérieusement question. C’est dans ce contexte que l’OVNI de la COP22 a fini par atterrir. L’évènement apporte avec lui des transformations d’utilité publique à la ville, notamment via des fonds des Nations Unies [9]. Malgré ses nombreuses critiques sur la situation sociale à Marrakech, Fatima reconnaît que l’événement apporte des éléments positifs pour les Marocains. « J’espère qu’ils vont organiser chaque année une COP chez nous, mais dans une ville différente pour que les villes du Maroc soient un peu améliorées ». Le problème est que ces améliorations détournent l’attention des autres problèmes que connaît la société marocaine. Les autorités semblent avoir choisi de masquer cette réalité sociale dérangeante aux étrangers et aux représentants climatiques du monde entier. L’option pourrait être stratégiquement légitimée si seulement elle permettait d’améliorer le quotidien de la population locale. Mais « le citoyen marocain est le dernier qui bénéficie de tous les bienfaits que les autorités annoncent à l’extérieur du pays », selon Hassan.
À titre personnel, le fait d’assister chaque jour à la COP22 tout en étant conscient du contexte social de la ville a quelque chose d’intimement déconcertant. Tous ces surdiplômés qui mangent des petits fours à un kilomètre de populations affamées, tout en débattant de quel agenda opter alors que l’urgence climatique est de mise : un vrai OVNI. Cette déconnection avec le milieu social dans lequel le sommet s’insère semble être le lot de la majorité des grands évènements de rayonnement international (e.g. coupe du monde). Aujourd’hui la COP22 a pris fin. L’étoile verte est repartie en fumée et laisse derrière elle un fond rouge et sombre. Une profonde blessure sociale aux nombreux visages qui, il faut bien le dire, semble bien loin des préoccupations réelles des Parties de la COP…
À titre personnel, le fait d’assister chaque jour à la COP22 tout en étant conscient du contexte social de la ville a quelque chose d’intimement déconcertant. Tous ces surdiplômés qui mangent des petits fours à un kilomètre de populations affamées, tout en débattant de quel agenda opter alors que l’urgence climatique est de mise : un vrai OVNI. Cette déconnection avec le milieu social dans lequel le sommet s’insère semble être le lot de la majorité des grands évènements de rayonnement international (e.g. coupe du monde). Aujourd’hui la COP22 a pris fin. L’étoile verte est repartie en fumée et laisse derrière elle un fond rouge et sombre. Une profonde blessure sociale aux nombreux visages qui, il faut bien le dire, semble bien loin des préoccupations réelles des Parties de la COP…
par Alexandre Orban
le 2 décembre 2016
le 2 décembre 2016
Références
[1] Le comptage officiel par les Nations Unies n’ayant pas encore été rendu public, nous ne pouvons que nous baser sur des estimations pré-COP22. D’un côté l’UNFCCC prévoyait environ 15.000 participants (voir le site , qui devrait prochainement afficher les données officielles). D’un autre côté, la ministre de l’Environnement marocaine et présidente de la COP22, Hakima El Haité, estimait entre 25.000 et 30.000 personnes sur le site (selon le média marocain LeMag).
[2] D’après l’article de Badra Berissoule « Marrakech passe à la vitesse supérieure » du 20 juillet 2016, paru dans le quotidien marocain L’économiste. Il est disponible via le lien suivant : www.leconomiste.com/article/1000247-cop22
[3] De nombreuses autres villes marocaines ont été l’objet de transformations urbaines à l’occasion de la COP22, telles que Rabat et Casablanca.
[4] Au Maroc, la contestation du pouvoir en place par le biais des médias ou de l’espace public peut impliquer des conséquences dangereuses pour ses habitants (poursuites judiciaires, mise en prison sans procès, torture, etc.). Sachant cela, nous avons choisi de modifier les noms de nos interlocuteurs marocains.
[5] Le Roi tient cette position notamment par les parts importantes que la famille royale détient de la Société Nationale d’Investissemment (SNI). Les filiales de la SNI sont implantées dans de nombreux secteurs et le fait qu’elles bénéficient de l’appui de l’État les rend très difficiles à concurrencer.
[6] Il y a deux ans, le CADTM a fait un état des lieu sur la question de l’austèrité au Maroc, disponible ici : http://www.cadtm.org/Austerite-et-ajustement-au-Maroc . En guise d’exemple récent, nous pouvons citer le cas de l’éducation qui semblait être un sujet brûlant d’actualité lors de notre séjour : chaque jour, nous passions devant des professeurs en grève de la faim sur la place Jamaa El Fna, qui protestaient contre la privatisation de l'enseignement et les politiques d'austérité qui lui était appliquées. Pour un petit bilan de la « crise » de l’enseignement au Maroc, nous recommandons l’article du journal Le Monde paru il y a quelques jours et disponible en ligne.
[7] Pour exemple, l’imposition de la religion musulmane et la condamnation de l’homosexualité ont fait l’objet d’articles spécifiques dans la constitution.
[8]Selon l’UNICEF, le taux d’alphabétisation des adultes a atteint 67,1 % entre 2008 et 2012.
[9] L’État marocain a mobilisé des fonds importants pour ces travaux,
notamment au travers de son ministère de l’Environnement. Le quotidien marocain L’économiste fait état 78,9 millions de dirhams (environ 7,4 millions d’euros). Les fonds importants que l’Union Européenne et le Programme des Nations Unies pour le Développement ont alloués au Maroc pour la COP 22 constituent un soutien fondamental au financement des travaux. Selon Les Ecos, les sommes s’élèvent respectivement à 21,9 millions de dirhams et 19,3 millions de dirhams.
Pour aller plus loin
- Pour un article plus approfondit sur le contexte social du Maroc, j’invite le lecteur à jetter un œil sur l’article Le Maroc pétrifié par son roi (2016) de Pierre Daum, paru dans le numéro d’octobre du Monde Diplomatique.
- Plus spécifiquement sur l’emprise du Roi Mohamed VI sur le Maroc, je recommande le livre Le roi prédateur (2012) d’Eric Laurent et de Catherine Graciet, Paris : Éditions du Seuil.
[1] Le comptage officiel par les Nations Unies n’ayant pas encore été rendu public, nous ne pouvons que nous baser sur des estimations pré-COP22. D’un côté l’UNFCCC prévoyait environ 15.000 participants (voir le site , qui devrait prochainement afficher les données officielles). D’un autre côté, la ministre de l’Environnement marocaine et présidente de la COP22, Hakima El Haité, estimait entre 25.000 et 30.000 personnes sur le site (selon le média marocain LeMag).
[2] D’après l’article de Badra Berissoule « Marrakech passe à la vitesse supérieure » du 20 juillet 2016, paru dans le quotidien marocain L’économiste. Il est disponible via le lien suivant : www.leconomiste.com/article/1000247-cop22
[3] De nombreuses autres villes marocaines ont été l’objet de transformations urbaines à l’occasion de la COP22, telles que Rabat et Casablanca.
[4] Au Maroc, la contestation du pouvoir en place par le biais des médias ou de l’espace public peut impliquer des conséquences dangereuses pour ses habitants (poursuites judiciaires, mise en prison sans procès, torture, etc.). Sachant cela, nous avons choisi de modifier les noms de nos interlocuteurs marocains.
[5] Le Roi tient cette position notamment par les parts importantes que la famille royale détient de la Société Nationale d’Investissemment (SNI). Les filiales de la SNI sont implantées dans de nombreux secteurs et le fait qu’elles bénéficient de l’appui de l’État les rend très difficiles à concurrencer.
[6] Il y a deux ans, le CADTM a fait un état des lieu sur la question de l’austèrité au Maroc, disponible ici : http://www.cadtm.org/Austerite-et-ajustement-au-Maroc . En guise d’exemple récent, nous pouvons citer le cas de l’éducation qui semblait être un sujet brûlant d’actualité lors de notre séjour : chaque jour, nous passions devant des professeurs en grève de la faim sur la place Jamaa El Fna, qui protestaient contre la privatisation de l'enseignement et les politiques d'austérité qui lui était appliquées. Pour un petit bilan de la « crise » de l’enseignement au Maroc, nous recommandons l’article du journal Le Monde paru il y a quelques jours et disponible en ligne.
[7] Pour exemple, l’imposition de la religion musulmane et la condamnation de l’homosexualité ont fait l’objet d’articles spécifiques dans la constitution.
[8]Selon l’UNICEF, le taux d’alphabétisation des adultes a atteint 67,1 % entre 2008 et 2012.
[9] L’État marocain a mobilisé des fonds importants pour ces travaux,
notamment au travers de son ministère de l’Environnement. Le quotidien marocain L’économiste fait état 78,9 millions de dirhams (environ 7,4 millions d’euros). Les fonds importants que l’Union Européenne et le Programme des Nations Unies pour le Développement ont alloués au Maroc pour la COP 22 constituent un soutien fondamental au financement des travaux. Selon Les Ecos, les sommes s’élèvent respectivement à 21,9 millions de dirhams et 19,3 millions de dirhams.
Pour aller plus loin
- Pour un article plus approfondit sur le contexte social du Maroc, j’invite le lecteur à jetter un œil sur l’article Le Maroc pétrifié par son roi (2016) de Pierre Daum, paru dans le numéro d’octobre du Monde Diplomatique.
- Plus spécifiquement sur l’emprise du Roi Mohamed VI sur le Maroc, je recommande le livre Le roi prédateur (2012) d’Eric Laurent et de Catherine Graciet, Paris : Éditions du Seuil.