Réchauffement et climato-scepticisme : un regard scientifique
Le professeur Jean-Louis Tison est glaciologue à l’Université Libre de Bruxelles. Ses recherches le poussent à étudier les changements du climat. Il a accepté de nous donner des explications sur certains de leurs aspects ainsi que son avis sur leur perception par la communauté scientifique et par le grand public. Entretien.
Depuis combien de temps la communauté scientifique observe-t-elle un réchauffement indéniable du climat ?
J.-L. T : Ni le GIEC, ni aucun scientifique n’utilise le terme indéniable pour parler de l’évolution du climat. Car aussi bien les mesures que les modèles qu’on utilise sont basés sur des statistiques. On parle donc plutôt de probable ou de très probable, termes qui correspondent à une estimation. Il est dès lors difficile de donner une année à partir de laquelle on a considéré que les changements climatiques ont commencé à devenir « indéniables ». Ce n’est d’ailleurs que depuis le rapport du GIEC de 2007 que ces changements sont qualifiés de « very likely ». Mais la hausse des températures, on l’observe déjà depuis les années 1970-1980.
Quelles sont les indices les plus explicites de ce réchauffement dans l’environnement ?
J.-L. T : C’est dans les régions polaires que les variations de température sont les plus marquées. On y trouve donc les indices les plus tranchés : la fonte de la banquise arctique ou une hausse de 4°C en moyenne sur certaines régions de l’Antarctique en l’espace de 40 ans par exemple.
Le réchauffement est particulièrement amplifié en Arctique où il y a une grande étendue de banquise (de la glace de mer contrairement aux calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland qui sont continentales). Or la banquise est très instable : il suffit d’une légère hausse des températures pour que celle-ci fonde. Il suffit qu’une fraction de cette banquise fonde pour que la surface de l’océan absorbant l’énergie solaire augmente. Cela engendre un réchauffement local qui amplifie à son tour la fonte de la glace de mer par le très connu « effet Albedo » (cf. le schéma ci-dessous). On a donc un effet de rétroaction positive (mécanisme auto-amplifiant). Le même processus se retrouve avec la fonte de la couverture neigeuse sur les continents car un sol nu absorbe davantage le rayonnement qu’un sol couvert de neige. Un autre aspect important des pôles est que l’excès d’énergie ne peut pas servir à évaporer davantage d’eau car l’air est trop froid que pour contenir beaucoup de vapeur d’eau. L’excès d’énergie va donc directement réchauffer l’atmosphère. En termes scientifiques, on parle d’une hausse de flux de chaleur sensible plutôt qu’une hausse de chaleur latente.
J.-L. T : Ni le GIEC, ni aucun scientifique n’utilise le terme indéniable pour parler de l’évolution du climat. Car aussi bien les mesures que les modèles qu’on utilise sont basés sur des statistiques. On parle donc plutôt de probable ou de très probable, termes qui correspondent à une estimation. Il est dès lors difficile de donner une année à partir de laquelle on a considéré que les changements climatiques ont commencé à devenir « indéniables ». Ce n’est d’ailleurs que depuis le rapport du GIEC de 2007 que ces changements sont qualifiés de « very likely ». Mais la hausse des températures, on l’observe déjà depuis les années 1970-1980.
Quelles sont les indices les plus explicites de ce réchauffement dans l’environnement ?
J.-L. T : C’est dans les régions polaires que les variations de température sont les plus marquées. On y trouve donc les indices les plus tranchés : la fonte de la banquise arctique ou une hausse de 4°C en moyenne sur certaines régions de l’Antarctique en l’espace de 40 ans par exemple.
Le réchauffement est particulièrement amplifié en Arctique où il y a une grande étendue de banquise (de la glace de mer contrairement aux calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland qui sont continentales). Or la banquise est très instable : il suffit d’une légère hausse des températures pour que celle-ci fonde. Il suffit qu’une fraction de cette banquise fonde pour que la surface de l’océan absorbant l’énergie solaire augmente. Cela engendre un réchauffement local qui amplifie à son tour la fonte de la glace de mer par le très connu « effet Albedo » (cf. le schéma ci-dessous). On a donc un effet de rétroaction positive (mécanisme auto-amplifiant). Le même processus se retrouve avec la fonte de la couverture neigeuse sur les continents car un sol nu absorbe davantage le rayonnement qu’un sol couvert de neige. Un autre aspect important des pôles est que l’excès d’énergie ne peut pas servir à évaporer davantage d’eau car l’air est trop froid que pour contenir beaucoup de vapeur d’eau. L’excès d’énergie va donc directement réchauffer l’atmosphère. En termes scientifiques, on parle d’une hausse de flux de chaleur sensible plutôt qu’une hausse de chaleur latente.
Schéma de l’effet Albedo
A quel point la communauté scientifique s’accorde-t-elle maintenant sur l’origine anthropique des changements climatiques ?
J.-L. T : Plus de 90% des scientifiques ont toujours soutenu l’hypothèse de l’origine anthropique. Mais ces scientifiques sont aujourd’hui encore plus convaincus qu’il y a 10-15 ans de cela. Il y a encore néanmoins des climato-sceptiques. Malheureusement, ce mot est devenu un mot fourre-tout. Car on doit différencier plusieurs types de climato-scepticismes. D’abord, les scientifiques sont par définition sceptiques par rapport aux argumentations de leurs pairs. Du coup certains ont tendance à être plus difficiles à convaincre que d’autres. C’est parfois dû à leur formation : je remarque que les géologues, qui ont l’habitude d’étudier des processus se déroulant sur des échelles de temps très longues, accordent peu de crédits aux perturbations courtes et rapides comme celle de l’Homme sur le climat. Parfois c’est aussi lié à l’attachement à certaines prises de position : certains refusent d’aller à l’encontre de l’avis de scientifiques renommés comme Claude Allègre (célèbre géologue climato-sceptique). D’autres sont littéralement « vendus ». Je veux dire par là qu’ils utilisent des techniques de désinformation car leurs intérêts vont à l’encontre des décisions qu’il va falloir prendre pour limiter les effets du changement du climat. On pense évidemment aux gens du secteur pétrolier, mais c’est devenu beaucoup plus large que ça. Et malheureusement, ce sont eux qui se font le plus entendre. Et puis il y en a aussi ceux qui sont comme ça par nature. On a notamment trouvé des climato-sceptiques qui étaient déjà de ceux affirmant, il y a une vingtaine d’années, que le tabac n’est pas nocif pour la santé. Du coup, ce sont souvent des scientifiques qui ne sont pas compétents dans les sciences du climat. Il y en a d’autres qui soutiennent que le GIEC est trop politisé et que suivre son avis, c’est être à la solde du gouvernement. J’ai déjà moi-même subi des critiques disant que je soutenais les théories d’un changement du climat pour que mes recherches continuent à être financées. Enfin, il y en a pour qui être climato-sceptique est un moyen d’aller à l’encontre des idées reçues et d’ainsi gagner en notoriété.
L’opinion publique reproche souvent le manque de précision par rapport à l’ampleur, au timing et aux conséquences des changements climatiques. Comment expliquer qu’on ne puisse pas déterminer des scénarios futurs moins incertains ?
J.-L. T : Les seuls outils dont nous disposons pour faire de la prédiction sont les modèles et ceux-ci sont imparfaits. Les modèles climatiques reprennent les grands processus physiques et chimiques des océans, de l’atmosphère, de la glace ainsi que des écosystèmes. Il faut coupler tous ces processus entre eux car ils s’influencent mutuellement. Ensuite, il faut prévoir comment ces processus vont évoluer si on leur impose un forçage extérieur comme une augmentation de l’énergie radiative due à l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre (ges).
Or la Terre est un vaste système où les processus sont bien trop nombreux. Dès lors, on ne les connaît pas tous et puis il faut sélectionner ceux que l’on considère comme important et négliger les autres. C’est pour ça que les modèles ont des projections différentes. S’ajoute à cela l’incertitude par rapport au comportement à venir de l’Homme. En effet, le climat futur est très dépendant de la quantité de GES qui arrivera dans le système à cause de l’activité anthropique. Enfin, il y a aussi la non-linéarité du climat. Comme les processus sont en interaction, les conséquences ne vont pas se faire en proportion des causes. Par exemple, ce n’est pas parce que la quantité de CO2 dans l’atmosphère double que la température globale va doubler. Dans les données paléo-climatiques (c’est-à-dire des climats passés), on constate que les courbes de concentration en GES et celle de la température suivent une trajectoire parallèle. Mais les échelles de temps sont tout à fait différentes. La hausse des concentrations de GES dans l’atmosphère actuelle est exceptionnellement rapide par rapport à celle que l’on peut observer dans les archives climatiques. L’ensemble des rétroactions engendrées par ces changements n’a pas encore eu le temps de se mettre en équilibre. Du coup la relation « augmentation de GES – augmentation de température » ne suit pas le rythme des émissions anthropiques de GES. Et ça, c’est parfois difficile à comprendre.
J.-L. T : Plus de 90% des scientifiques ont toujours soutenu l’hypothèse de l’origine anthropique. Mais ces scientifiques sont aujourd’hui encore plus convaincus qu’il y a 10-15 ans de cela. Il y a encore néanmoins des climato-sceptiques. Malheureusement, ce mot est devenu un mot fourre-tout. Car on doit différencier plusieurs types de climato-scepticismes. D’abord, les scientifiques sont par définition sceptiques par rapport aux argumentations de leurs pairs. Du coup certains ont tendance à être plus difficiles à convaincre que d’autres. C’est parfois dû à leur formation : je remarque que les géologues, qui ont l’habitude d’étudier des processus se déroulant sur des échelles de temps très longues, accordent peu de crédits aux perturbations courtes et rapides comme celle de l’Homme sur le climat. Parfois c’est aussi lié à l’attachement à certaines prises de position : certains refusent d’aller à l’encontre de l’avis de scientifiques renommés comme Claude Allègre (célèbre géologue climato-sceptique). D’autres sont littéralement « vendus ». Je veux dire par là qu’ils utilisent des techniques de désinformation car leurs intérêts vont à l’encontre des décisions qu’il va falloir prendre pour limiter les effets du changement du climat. On pense évidemment aux gens du secteur pétrolier, mais c’est devenu beaucoup plus large que ça. Et malheureusement, ce sont eux qui se font le plus entendre. Et puis il y en a aussi ceux qui sont comme ça par nature. On a notamment trouvé des climato-sceptiques qui étaient déjà de ceux affirmant, il y a une vingtaine d’années, que le tabac n’est pas nocif pour la santé. Du coup, ce sont souvent des scientifiques qui ne sont pas compétents dans les sciences du climat. Il y en a d’autres qui soutiennent que le GIEC est trop politisé et que suivre son avis, c’est être à la solde du gouvernement. J’ai déjà moi-même subi des critiques disant que je soutenais les théories d’un changement du climat pour que mes recherches continuent à être financées. Enfin, il y en a pour qui être climato-sceptique est un moyen d’aller à l’encontre des idées reçues et d’ainsi gagner en notoriété.
L’opinion publique reproche souvent le manque de précision par rapport à l’ampleur, au timing et aux conséquences des changements climatiques. Comment expliquer qu’on ne puisse pas déterminer des scénarios futurs moins incertains ?
J.-L. T : Les seuls outils dont nous disposons pour faire de la prédiction sont les modèles et ceux-ci sont imparfaits. Les modèles climatiques reprennent les grands processus physiques et chimiques des océans, de l’atmosphère, de la glace ainsi que des écosystèmes. Il faut coupler tous ces processus entre eux car ils s’influencent mutuellement. Ensuite, il faut prévoir comment ces processus vont évoluer si on leur impose un forçage extérieur comme une augmentation de l’énergie radiative due à l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre (ges).
Or la Terre est un vaste système où les processus sont bien trop nombreux. Dès lors, on ne les connaît pas tous et puis il faut sélectionner ceux que l’on considère comme important et négliger les autres. C’est pour ça que les modèles ont des projections différentes. S’ajoute à cela l’incertitude par rapport au comportement à venir de l’Homme. En effet, le climat futur est très dépendant de la quantité de GES qui arrivera dans le système à cause de l’activité anthropique. Enfin, il y a aussi la non-linéarité du climat. Comme les processus sont en interaction, les conséquences ne vont pas se faire en proportion des causes. Par exemple, ce n’est pas parce que la quantité de CO2 dans l’atmosphère double que la température globale va doubler. Dans les données paléo-climatiques (c’est-à-dire des climats passés), on constate que les courbes de concentration en GES et celle de la température suivent une trajectoire parallèle. Mais les échelles de temps sont tout à fait différentes. La hausse des concentrations de GES dans l’atmosphère actuelle est exceptionnellement rapide par rapport à celle que l’on peut observer dans les archives climatiques. L’ensemble des rétroactions engendrées par ces changements n’a pas encore eu le temps de se mettre en équilibre. Du coup la relation « augmentation de GES – augmentation de température » ne suit pas le rythme des émissions anthropiques de GES. Et ça, c’est parfois difficile à comprendre.
Courbes de température et de concentration atmosphérique de CO2 au cours des 400 000 dernières années.
Source : NOAA
Source : NOAA
Au cours de votre carrière, comment votre conception des changements climatiques a-t-elle évolué ?
J.-L. T : Je fais des conférences sur les changements climatiques depuis une vingtaine d’années. Et j’étais beaucoup plus prudent à l’époque sur ce que je racontais. Maintenant, on a des modèles beaucoup plus fiables. On dispose également de données plus fiables. Le meilleur exemple sont les images satellitaires qui sont abondantes désormais. De plus, comme elles existent depuis plusieurs dizaines d’années, on peut faire des études sur l’évolution de certains phénomènes au cours du temps comme la fonte de la banquise arctique. Plus on avance dans le temps, moins on peut mettre tous les changements observés sur le dos de variations à court terme qui seraient naturelles. La démonstration des changements du climat s’étale sur suffisamment d’années pour qu’on soit de plus en plus confiant qu’il s’agisse d’une tendance climatique et non de variations épisodiques.
J.-L. T : Je fais des conférences sur les changements climatiques depuis une vingtaine d’années. Et j’étais beaucoup plus prudent à l’époque sur ce que je racontais. Maintenant, on a des modèles beaucoup plus fiables. On dispose également de données plus fiables. Le meilleur exemple sont les images satellitaires qui sont abondantes désormais. De plus, comme elles existent depuis plusieurs dizaines d’années, on peut faire des études sur l’évolution de certains phénomènes au cours du temps comme la fonte de la banquise arctique. Plus on avance dans le temps, moins on peut mettre tous les changements observés sur le dos de variations à court terme qui seraient naturelles. La démonstration des changements du climat s’étale sur suffisamment d’années pour qu’on soit de plus en plus confiant qu’il s’agisse d’une tendance climatique et non de variations épisodiques.
Interview réalisée par Vincent Verjans
19/10/2016
19/10/2016