Joeri Thijs : après Paris, un bilan pour le climat
Joeri Thijs est le porte-parole de Greenpeace Belgique à la COP22 à Marrakech, ONG pour laquelle il travaille depuis 2003.
Nous y sommes, Marrakech. Mais quel est le message que Greenpeace Belgique souhaite faire passer en se rendant ici ?
Pour Greenpeace, Marrakech représente le premier pas du suivi de l’Accord de Paris. Cet accord global est le résultat de plusieurs années de négociation, et c’est une très bonne nouvelle. Bien entendu, on sait pertinemment que les ambitions nationales sont loin d’être suffisantes pour limiter le réchauffement global à 2 degrés, et tendre – à terme – à 1,5 degrés. Quand bien même, nous avons cet accord ! |
C’est donc un nouveau voyage qui commence ici. Marrakech est un nouveau départ, et nous devons commencer à donner de la matière aux engagements pris à Paris. Il va cependant falloir définir plus précisément les règles et les méthodes de travail, et surtout, nous assurer de la manière dont nous allons résoudre notre manque d'ambition pour ces prochaines années – car l’Accord de Paris ne débute qu’en 2020. Si nous voulons entreprendre cet accord sur des bases saines, c’est impératif. Si nous attendons 2020, nous ratons d’ores et déjà une fenêtre d’opportunité pour limiter le réchauffement climatique.
Notamment, si nous voulons que l’Accord de Paris soit en mesure de changer les choses, cela ne peut pas se faire sans un travail de fond autour de ses modalités. Comment allons nous contrôler les initiatives de réduction des émissions par pays ? Comment allons-nous assurer la mise en place de mécanismes de transparence solides entre pays développés et PVD ? Quid du financement ? Plus encore, il faut que nous puissions nous faire confiance. Nous voyons à quel point la confiance que nous nous accordons est importante lors de ces négociations, et c’est notamment ce qui nous a mené à la conclusion de l’Accord de Paris. Mais la confiance ne peut être pérennisée que par des engagements. On le voit – par exemple – dans le cadre du financement climatique, qui est un élément crucial.
Pour Greenpeace, le point principal revient donc à définir comment nous allons, dans les deux prochaines années, résoudre l’écart entre les plans nationaux en termes de réduction d’émissions, et les objectifs de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement global à 2 degrés, voire 1,5 degrés. Cet écart d’ambition, nous l’avons reconnu à Paris. Soit, mais qu’allons nous faire désormais, notamment pour les deux prochaines années ? Surtout, la COP24 sera l’occasion pour les parties de présenter leurs plans nationaux, en vue de les implémenter dès 2020. Et il reste tant à faire, comme par exemple, déterminer les moyens par lesquels nous allons aider les pays en voie de développement à obtenir ce dont ils ont besoin pour réduire leurs émissions. Marrakech est certainement un nouveau départ, mais n’achèverons jamais ce grand « momentum » politique pour la fin du siècle si les discussions ne débutent pas dès maintenant. Nous n’avons donc plus une minute à perdre, et seulement quelques années pour saisir la fenêtre d’opportunité qui nous permettra d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Quid de la Belgique qui n’a toujours pas trouvé son burden sharing pour la période 2013-2020 ?
La semaine dernière, la Belgique a présenté son bilan en matière de lutte contre le réchauffement global - notamment vis-à-vis des objectifs européens pour 2030 - et cela fut plutôt douloureux. Nous avons dû admettre que nous n’atteindrons probablement pas les objectifs 2020, et certainement, les objectifs 2030. Nous devons absolument accroître notre ambition, tant au niveau de la Belgique, que de l’Union Européenne. La Belgique a encore beaucoup à apprendre, et doit encore réaliser un travail conséquent si elle souhaite réduire ses émissions dans l’ensemble des secteurs polluants. Ce travail doit débuter dès maintenant, notamment si nous voulons être en cohérence avec l’Accord de Paris.
Les dix années précédent Paris, nous avons réellement essayé d’instaurer un climate regime. On a négocié avec force pour obtenir un accord à Paris avec toutes les parties. La Belgique tout comme l’Union Européenne ont souvent eu recours à l’excuse du manque d’enthousiasme commun, arguant que si des pays comme la Chine ou l’Inde n’étaient pas parties prenantes, cela n’en valait pas la peine. Cette période est révolue maintenant, nous avons un accord global et inclusif ! Nous devons donc aller du regime building à l’ambition building, et accélérer la manoeuvre. Les différents plans climat d’ores et déjà présentés limitent le réchauffement global de l’ordre de 2,7 voire 3,3 degrés. Cela aurait des impacts dévastateurs, notamment en Occident.
On remarque – en outre – une évolution des rôles qui s’est formalisée à Paris. On peut désormais parler d’un global momentum sur le plan politique, notamment lorsque l’on regarde la Chine par exemple, qui admet progressivement ses responsabilités et prend des actions à l’échelle nationale. C’est clairement un signe d’espoir, et nous devons nous maintenir sur cette lancée, en dépit de l’élection de D. Trump. On a vu des pays ici, la semaine dernière, confirmer leurs engagements auprès de l’Accord de Paris après l’annonce des résultats aux Etats-Unis, et cela nous fait espérer. Même si le pire arrive, que l’administration Trump fait marche arrière, nous sommes désormais dans un cheminement global et nous devons continuer. Notamment parce que le changement climatique concerne l’intérêt national de toute partie présente ici.
La question de l’ambition reste cependant fragile ? Les enjeux climatiques ne sont-ils pas conditionnés d’une certaine manière par des intérêts d’ordre politique, voire diplomatique ?
C’est une vision pessimiste, notamment parce que la climate diplomacy a énormément évolué. Cela se ressent notamment par des prises d’actions plus récurrentes – bien que non suffisantes – à l’échelle nationale. C’est d’ailleurs à cette échelle que nous devons nous concentrer, car elle permet une bonne combinaison avec les négociations internationales souvent lentes, et très techniques. Quelque part, les négociations doivent être stimulées, si ce n’est conduites, par ces prises d’initiatives sur les territoires nationaux. Ce que Greenpeace relève, par exemple, est que le simple recours aux énergies renouvelables par des pays comme l’Inde et la Chine permet de faire bouger les choses. Celles-ci deviennent progressivement plus accessibles et moins chères que les énergies fossiles, et tendent à modifier le marché. J’ai aussi donné l’exemple avec l’élection de D. Trump : bien sûr qu’il s’apprête à ralentir le rythme d’engagement des Etats-Unis, en essayant de déconstruire notamment ce que Obama a scellé pour le climat via l’Accord de Paris. Mais je pense qu’il est incapable de bouleverser le marché de l’énergie et la manière dont celui-ci évolue à présent. Les investisseurs se sont assis, ici à Marrakech, la semaine dernière, pour réaffirmer que la stratégie de l’administration Trump ne changera pas quoi que ce soit. Notamment, je pense que c’est parce qu’ils perçoivent désormais les avantages à investir dans les énergies renouvelables et le développement durable.
Mais qu’en est-il des lobbies ?
Bien sûr, le lobby de l'industrie fossile se battra comme si sa vie en dépendait pour conserver son modèle économique, et bien entendu, son marché. Il se battra aussi longtemps que possible, mais les faits sont là et ils sont contre lui. Evidemment, cela ne veut pas dire que nous pouvons désormais nous rasseoir et attendre que le marché s’exempte des énergies fossiles de lui-même ! Mais c’est quand même une évolution que nous pouvons noter à présent dans les discussions diplomatiques, la réalité du terrain est en train de soutenir l’avancée des négociations en cours ici.
Je me souviens – il y a 10-15 ans – quand je parlais de la nécessité d'investir dans les énergies renouvelables, il s’agissait toujours d’une discussion théorique car il s’agissait là d’énergies particulièrement chères pour des pays comme l’Inde, ou le continent africain. C’était bien facile d’investir dans les énergies fossiles ! Désormais, nous avons pris conscience du potentiel de ces énergies, notamment pour assurer le dessein de millions de personnes qui n’ont pas accès l’électricité, etc.
On a beaucoup parlé ici de la nécessité d’instaurer des nouveaux standards au sein du secteur financier. Avez-vous un avis sur cette question ?
Bien que je ne sois pas un expert, ce qu’on voit ces dernières années, c’est que déjà presque 4 milliards de dollars n’ont pas été attribué à l’industrie fossile, et seront de plus en plus détourné vers des énergies propres. Les banques, les investisseurs commencent à comprendre que le recours aux énergies fossiles formalise une prise de risque sur le long-terme, notamment au regard des objectifs de l’Accord de Paris. Si elles ne peuvent être utilisées, cela revient à dire que nos réserves potentielles pourraient devenir inutiles.
Cette réalité opère déjà une certaine influence sur le secteur financier. Regardez par exemple, les compagnies d’assurance sont en train de devenir nos meilleures alliées ces dernières années, parce qu’elles prennent conscience des conséquences du changement climatique sur leur activité. Cela ne veut pas dire que je suis naïf, je suis tout à fait conscient de la prégnance du lobby de l'industrie fossile sur le marché notamment. Mais leur position tend irrémédiablement à s’affaiblir, et il est peut-être temps de se tourner enfin vers des énergies vertes, notamment en termes d’investissements financiers.
Par rapport à ce que nous venons de dire, le CETA, voire le TTIP, n’apparaissent-ils pas à contre-courant des tendances ?
Nous avons rejoint le mouvement formé par la société civile pour nous opposer à la ratification de ces traités. Pour Greenpeace, ils ne prennent pas la bonne direction pour atteindre les objectifs fixés pour la lutte contre le réchauffement global. Notamment parce que ces traités accordent bien plus d’importance et de pouvoir aux industries ayant recours aux énergies fossiles.
Comme nous pouvons le constater à présent, il y a encore du chemin avant que nous ayons des accords formels, et le combat est donc loin d’être terminé. Il est clair que des pays tels que la Belgique doivent réaliser que la signature de l’Accord de Paris et celle d’un traité comme le CETA ne peuvent être interprétées et englobées dans une approche compréhensive du climat. La Wallonie semble l’avoir en partie réalisé, mais je pense qu’un long cheminement reste tout de même à accomplir.
La protection de l’environnement est en théorie mentionnée au sein de ces traités, mais en pratique, les compagnies et actionnaires vont bénéficier d’une large couverture de protection vis-à-vis de leurs investissements. Ceci remet en question nombre d’engagements européens, tel que le principe de précaution – non cité au sein de ces traités – qui est pourtant crucial, voire fondamental en matière de politiques climatiques en Europe.
Mais dans tout ça, quelle est la place de l’Europe alors ?
A vrai dire, l’élection de D. Trump remet en perspective la position européenne en matière de politiques climatiques. L’UE doit se réveiller, car nous avons déjà été en position de leadership dans le passé, notamment au sein des négociations. Nous avons encore à ce jour beaucoup d’experts qui tentent ici de donner une impulsion positive aux discussions. Mais notre problème reste un problème d’ambition. Votre crédibilité ici, en tant que grand pollueur, dépend largement de votre ambition tant sur vos plans de réduction d’émissions, que sur le financement que vous accordez au pays en voie de développement. Sur ces deux points, l’Europe n’est pas à la hauteur, ne s’engage pas assez. Si l’Europe veut compenser un potentiel désengagement des Etats-Unis, en travaillant avec la Chine par exemple, elle doit accélérer la manoeuvre et par conséquent son ambition, pour l’horizon 2030. Car il ne faut pas oublier que nous avons une responsabilité historique vis-à-vis du changement climatique. Mais malheureusement, nous ne semblons pas encore prêts.
Pourquoi, selon vous ?
Nous sommes 28 membres, et nous avons tous notre mot à dire. Mais nous devons, y compris la Belgique, tous fait en sorte d’accroître l’effort européen. Nous devons nous assurer que nos engagements soient traduits sur nos territoires via des actions concrètes en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
N’est-ce-pas un peu le même problème à l’échelle de la Belgique ?
Oui, exactement. Nous avons eu de nombreux débats sur la manière dont nous allions parvenir à atteindre les objectifs 2020, et c’est d’ores et déjà dans quatre ans ! Il nous a fallu plus de sept ans pour parvenir à un accord en Belgique pour se répartir les efforts de réduction d’émissions GES. C’est bien trop long, nous ne pouvons pas nous permettre de répéter cette démarche. La semaine dernière, lorsque la Belgique a présenté son plan national, certaines parties se sont inquiétées et questionnées sur la manière dont nous allions parvenir à nous entendre pour la période 2020-2030. Nous espérons que le burden sharing en cours de discussion pour la phase post-2020 sera plus facile à obtenir. Car l’effort à réaliser en Belgique n’est pas moindre, notamment au regard des secteurs du transport et de l’agriculture. Il en va notamment de notre crédibilité. Nous perdons bien trop de temps à nous pointer du doigt, alors que nous sommes un seul et unique pays, et plus encore, un petit pays !
En somme, c’est un problème de méthodologie ?
Je pense surtout que c’est un problème politique. Mais le climat se préoccupe peu du politique ! C’est notamment la même chose pour que les élections américaines. D. Trump peut bien dire ce qu’il veut, mais il ne peut pas changer les lois physiques et le changement climatique aura quoi qu’il en soit des impacts dévastateurs, aux Etats-Unis y compris.
On en revient donc à dire, que la portée de l’action climatique est conditionnée aux enjeux politiques ?
Oui, j’ai peur que ce soit la réalité que nous vivons. Mais je crois que le cas de la Belgique tend à l’extrême. Je veux dire par là, un si petit pays comprenant 11 millions d’habitants ! Nous devons trouver un moyen de coopérer, c’est impératif. Nous n’avons, par exemple, toujours pas de Plan National « Climat & Energie » pour l’ensemble du territoire, mais un plan pour chaque région implémenté de manière individuelle, et non collective. Ce n’est pas une manière d’agir cohérente si nous souhaitons réaliser nos objectifs nationaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il est donc clair à présent, que nous devons avoir une méthode de travail différente pour réussir à formaliser nos engagements de manière commune. Mais ce n’est pas à Greenpeace de résoudre cela, c’est aux politiques belges !
Pour clôturer cette interview, il y-a-t-il une action de Greenpeace en particulier – et au regard du contexte – dont vous souhaiteriez nous parler ?
Le choix est rude car nous avons une série d’actions qui prennent effet à ce moment même ! Mais depuis que nous sommes à Marrakech, dans une région africaine et méditerranéenne, je penserais à la campagne « Sun Unites Us ». Elle est pour moi particulièrement symbolique, notamment sur deux points clés. D’une part, elle souligne la mesure avec laquelle les énergies renouvelables – et plus particulièrement les énergies solaires – sont susceptibles d’aider des populations vivant en condition d’extrême pauvreté, à améliorer leur qualité de vie. D’autre part, elle nous permet de penser le développement autrement, d’une manière qui soit plus respectueuse de l’environnement. Je pense que cette action est particulièrement symbolique sur un continent comme l’Afrique, et plus largement dans une région comme la Méditerranée où la plupart des conflits ont pour origine commune les énergies fossiles. Quelque part, bien que « Sun Unites Us » ne soit qu’un simple slogan, c’est tout de même une manière de se dire que la sortie des énergies fossiles peut potentiellement nous permettre de construire un monde plus paisible.
Notamment, si nous voulons que l’Accord de Paris soit en mesure de changer les choses, cela ne peut pas se faire sans un travail de fond autour de ses modalités. Comment allons nous contrôler les initiatives de réduction des émissions par pays ? Comment allons-nous assurer la mise en place de mécanismes de transparence solides entre pays développés et PVD ? Quid du financement ? Plus encore, il faut que nous puissions nous faire confiance. Nous voyons à quel point la confiance que nous nous accordons est importante lors de ces négociations, et c’est notamment ce qui nous a mené à la conclusion de l’Accord de Paris. Mais la confiance ne peut être pérennisée que par des engagements. On le voit – par exemple – dans le cadre du financement climatique, qui est un élément crucial.
Pour Greenpeace, le point principal revient donc à définir comment nous allons, dans les deux prochaines années, résoudre l’écart entre les plans nationaux en termes de réduction d’émissions, et les objectifs de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement global à 2 degrés, voire 1,5 degrés. Cet écart d’ambition, nous l’avons reconnu à Paris. Soit, mais qu’allons nous faire désormais, notamment pour les deux prochaines années ? Surtout, la COP24 sera l’occasion pour les parties de présenter leurs plans nationaux, en vue de les implémenter dès 2020. Et il reste tant à faire, comme par exemple, déterminer les moyens par lesquels nous allons aider les pays en voie de développement à obtenir ce dont ils ont besoin pour réduire leurs émissions. Marrakech est certainement un nouveau départ, mais n’achèverons jamais ce grand « momentum » politique pour la fin du siècle si les discussions ne débutent pas dès maintenant. Nous n’avons donc plus une minute à perdre, et seulement quelques années pour saisir la fenêtre d’opportunité qui nous permettra d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Quid de la Belgique qui n’a toujours pas trouvé son burden sharing pour la période 2013-2020 ?
La semaine dernière, la Belgique a présenté son bilan en matière de lutte contre le réchauffement global - notamment vis-à-vis des objectifs européens pour 2030 - et cela fut plutôt douloureux. Nous avons dû admettre que nous n’atteindrons probablement pas les objectifs 2020, et certainement, les objectifs 2030. Nous devons absolument accroître notre ambition, tant au niveau de la Belgique, que de l’Union Européenne. La Belgique a encore beaucoup à apprendre, et doit encore réaliser un travail conséquent si elle souhaite réduire ses émissions dans l’ensemble des secteurs polluants. Ce travail doit débuter dès maintenant, notamment si nous voulons être en cohérence avec l’Accord de Paris.
Les dix années précédent Paris, nous avons réellement essayé d’instaurer un climate regime. On a négocié avec force pour obtenir un accord à Paris avec toutes les parties. La Belgique tout comme l’Union Européenne ont souvent eu recours à l’excuse du manque d’enthousiasme commun, arguant que si des pays comme la Chine ou l’Inde n’étaient pas parties prenantes, cela n’en valait pas la peine. Cette période est révolue maintenant, nous avons un accord global et inclusif ! Nous devons donc aller du regime building à l’ambition building, et accélérer la manoeuvre. Les différents plans climat d’ores et déjà présentés limitent le réchauffement global de l’ordre de 2,7 voire 3,3 degrés. Cela aurait des impacts dévastateurs, notamment en Occident.
On remarque – en outre – une évolution des rôles qui s’est formalisée à Paris. On peut désormais parler d’un global momentum sur le plan politique, notamment lorsque l’on regarde la Chine par exemple, qui admet progressivement ses responsabilités et prend des actions à l’échelle nationale. C’est clairement un signe d’espoir, et nous devons nous maintenir sur cette lancée, en dépit de l’élection de D. Trump. On a vu des pays ici, la semaine dernière, confirmer leurs engagements auprès de l’Accord de Paris après l’annonce des résultats aux Etats-Unis, et cela nous fait espérer. Même si le pire arrive, que l’administration Trump fait marche arrière, nous sommes désormais dans un cheminement global et nous devons continuer. Notamment parce que le changement climatique concerne l’intérêt national de toute partie présente ici.
La question de l’ambition reste cependant fragile ? Les enjeux climatiques ne sont-ils pas conditionnés d’une certaine manière par des intérêts d’ordre politique, voire diplomatique ?
C’est une vision pessimiste, notamment parce que la climate diplomacy a énormément évolué. Cela se ressent notamment par des prises d’actions plus récurrentes – bien que non suffisantes – à l’échelle nationale. C’est d’ailleurs à cette échelle que nous devons nous concentrer, car elle permet une bonne combinaison avec les négociations internationales souvent lentes, et très techniques. Quelque part, les négociations doivent être stimulées, si ce n’est conduites, par ces prises d’initiatives sur les territoires nationaux. Ce que Greenpeace relève, par exemple, est que le simple recours aux énergies renouvelables par des pays comme l’Inde et la Chine permet de faire bouger les choses. Celles-ci deviennent progressivement plus accessibles et moins chères que les énergies fossiles, et tendent à modifier le marché. J’ai aussi donné l’exemple avec l’élection de D. Trump : bien sûr qu’il s’apprête à ralentir le rythme d’engagement des Etats-Unis, en essayant de déconstruire notamment ce que Obama a scellé pour le climat via l’Accord de Paris. Mais je pense qu’il est incapable de bouleverser le marché de l’énergie et la manière dont celui-ci évolue à présent. Les investisseurs se sont assis, ici à Marrakech, la semaine dernière, pour réaffirmer que la stratégie de l’administration Trump ne changera pas quoi que ce soit. Notamment, je pense que c’est parce qu’ils perçoivent désormais les avantages à investir dans les énergies renouvelables et le développement durable.
Mais qu’en est-il des lobbies ?
Bien sûr, le lobby de l'industrie fossile se battra comme si sa vie en dépendait pour conserver son modèle économique, et bien entendu, son marché. Il se battra aussi longtemps que possible, mais les faits sont là et ils sont contre lui. Evidemment, cela ne veut pas dire que nous pouvons désormais nous rasseoir et attendre que le marché s’exempte des énergies fossiles de lui-même ! Mais c’est quand même une évolution que nous pouvons noter à présent dans les discussions diplomatiques, la réalité du terrain est en train de soutenir l’avancée des négociations en cours ici.
Je me souviens – il y a 10-15 ans – quand je parlais de la nécessité d'investir dans les énergies renouvelables, il s’agissait toujours d’une discussion théorique car il s’agissait là d’énergies particulièrement chères pour des pays comme l’Inde, ou le continent africain. C’était bien facile d’investir dans les énergies fossiles ! Désormais, nous avons pris conscience du potentiel de ces énergies, notamment pour assurer le dessein de millions de personnes qui n’ont pas accès l’électricité, etc.
On a beaucoup parlé ici de la nécessité d’instaurer des nouveaux standards au sein du secteur financier. Avez-vous un avis sur cette question ?
Bien que je ne sois pas un expert, ce qu’on voit ces dernières années, c’est que déjà presque 4 milliards de dollars n’ont pas été attribué à l’industrie fossile, et seront de plus en plus détourné vers des énergies propres. Les banques, les investisseurs commencent à comprendre que le recours aux énergies fossiles formalise une prise de risque sur le long-terme, notamment au regard des objectifs de l’Accord de Paris. Si elles ne peuvent être utilisées, cela revient à dire que nos réserves potentielles pourraient devenir inutiles.
Cette réalité opère déjà une certaine influence sur le secteur financier. Regardez par exemple, les compagnies d’assurance sont en train de devenir nos meilleures alliées ces dernières années, parce qu’elles prennent conscience des conséquences du changement climatique sur leur activité. Cela ne veut pas dire que je suis naïf, je suis tout à fait conscient de la prégnance du lobby de l'industrie fossile sur le marché notamment. Mais leur position tend irrémédiablement à s’affaiblir, et il est peut-être temps de se tourner enfin vers des énergies vertes, notamment en termes d’investissements financiers.
Par rapport à ce que nous venons de dire, le CETA, voire le TTIP, n’apparaissent-ils pas à contre-courant des tendances ?
Nous avons rejoint le mouvement formé par la société civile pour nous opposer à la ratification de ces traités. Pour Greenpeace, ils ne prennent pas la bonne direction pour atteindre les objectifs fixés pour la lutte contre le réchauffement global. Notamment parce que ces traités accordent bien plus d’importance et de pouvoir aux industries ayant recours aux énergies fossiles.
Comme nous pouvons le constater à présent, il y a encore du chemin avant que nous ayons des accords formels, et le combat est donc loin d’être terminé. Il est clair que des pays tels que la Belgique doivent réaliser que la signature de l’Accord de Paris et celle d’un traité comme le CETA ne peuvent être interprétées et englobées dans une approche compréhensive du climat. La Wallonie semble l’avoir en partie réalisé, mais je pense qu’un long cheminement reste tout de même à accomplir.
La protection de l’environnement est en théorie mentionnée au sein de ces traités, mais en pratique, les compagnies et actionnaires vont bénéficier d’une large couverture de protection vis-à-vis de leurs investissements. Ceci remet en question nombre d’engagements européens, tel que le principe de précaution – non cité au sein de ces traités – qui est pourtant crucial, voire fondamental en matière de politiques climatiques en Europe.
Mais dans tout ça, quelle est la place de l’Europe alors ?
A vrai dire, l’élection de D. Trump remet en perspective la position européenne en matière de politiques climatiques. L’UE doit se réveiller, car nous avons déjà été en position de leadership dans le passé, notamment au sein des négociations. Nous avons encore à ce jour beaucoup d’experts qui tentent ici de donner une impulsion positive aux discussions. Mais notre problème reste un problème d’ambition. Votre crédibilité ici, en tant que grand pollueur, dépend largement de votre ambition tant sur vos plans de réduction d’émissions, que sur le financement que vous accordez au pays en voie de développement. Sur ces deux points, l’Europe n’est pas à la hauteur, ne s’engage pas assez. Si l’Europe veut compenser un potentiel désengagement des Etats-Unis, en travaillant avec la Chine par exemple, elle doit accélérer la manoeuvre et par conséquent son ambition, pour l’horizon 2030. Car il ne faut pas oublier que nous avons une responsabilité historique vis-à-vis du changement climatique. Mais malheureusement, nous ne semblons pas encore prêts.
Pourquoi, selon vous ?
Nous sommes 28 membres, et nous avons tous notre mot à dire. Mais nous devons, y compris la Belgique, tous fait en sorte d’accroître l’effort européen. Nous devons nous assurer que nos engagements soient traduits sur nos territoires via des actions concrètes en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
N’est-ce-pas un peu le même problème à l’échelle de la Belgique ?
Oui, exactement. Nous avons eu de nombreux débats sur la manière dont nous allions parvenir à atteindre les objectifs 2020, et c’est d’ores et déjà dans quatre ans ! Il nous a fallu plus de sept ans pour parvenir à un accord en Belgique pour se répartir les efforts de réduction d’émissions GES. C’est bien trop long, nous ne pouvons pas nous permettre de répéter cette démarche. La semaine dernière, lorsque la Belgique a présenté son plan national, certaines parties se sont inquiétées et questionnées sur la manière dont nous allions parvenir à nous entendre pour la période 2020-2030. Nous espérons que le burden sharing en cours de discussion pour la phase post-2020 sera plus facile à obtenir. Car l’effort à réaliser en Belgique n’est pas moindre, notamment au regard des secteurs du transport et de l’agriculture. Il en va notamment de notre crédibilité. Nous perdons bien trop de temps à nous pointer du doigt, alors que nous sommes un seul et unique pays, et plus encore, un petit pays !
En somme, c’est un problème de méthodologie ?
Je pense surtout que c’est un problème politique. Mais le climat se préoccupe peu du politique ! C’est notamment la même chose pour que les élections américaines. D. Trump peut bien dire ce qu’il veut, mais il ne peut pas changer les lois physiques et le changement climatique aura quoi qu’il en soit des impacts dévastateurs, aux Etats-Unis y compris.
On en revient donc à dire, que la portée de l’action climatique est conditionnée aux enjeux politiques ?
Oui, j’ai peur que ce soit la réalité que nous vivons. Mais je crois que le cas de la Belgique tend à l’extrême. Je veux dire par là, un si petit pays comprenant 11 millions d’habitants ! Nous devons trouver un moyen de coopérer, c’est impératif. Nous n’avons, par exemple, toujours pas de Plan National « Climat & Energie » pour l’ensemble du territoire, mais un plan pour chaque région implémenté de manière individuelle, et non collective. Ce n’est pas une manière d’agir cohérente si nous souhaitons réaliser nos objectifs nationaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il est donc clair à présent, que nous devons avoir une méthode de travail différente pour réussir à formaliser nos engagements de manière commune. Mais ce n’est pas à Greenpeace de résoudre cela, c’est aux politiques belges !
Pour clôturer cette interview, il y-a-t-il une action de Greenpeace en particulier – et au regard du contexte – dont vous souhaiteriez nous parler ?
Le choix est rude car nous avons une série d’actions qui prennent effet à ce moment même ! Mais depuis que nous sommes à Marrakech, dans une région africaine et méditerranéenne, je penserais à la campagne « Sun Unites Us ». Elle est pour moi particulièrement symbolique, notamment sur deux points clés. D’une part, elle souligne la mesure avec laquelle les énergies renouvelables – et plus particulièrement les énergies solaires – sont susceptibles d’aider des populations vivant en condition d’extrême pauvreté, à améliorer leur qualité de vie. D’autre part, elle nous permet de penser le développement autrement, d’une manière qui soit plus respectueuse de l’environnement. Je pense que cette action est particulièrement symbolique sur un continent comme l’Afrique, et plus largement dans une région comme la Méditerranée où la plupart des conflits ont pour origine commune les énergies fossiles. Quelque part, bien que « Sun Unites Us » ne soit qu’un simple slogan, c’est tout de même une manière de se dire que la sortie des énergies fossiles peut potentiellement nous permettre de construire un monde plus paisible.
interview réalisé par Laura Karam et Méline Charlier
publié le 22 novembre 2016