Entretien avec Jonathan Lambregs du Bond Beter Leefmilieu
Spécialisé en « Climat et mobilité », Jonathan Lambregs officie au Bond Beter Leefmilieu (BBL), Fédération Environnementale flamande. Il a également travaillé pour l’UNFCCC, l’IUCN (International Union for Conservation of Nature), et s’est par ailleurs investi au sein du Conseil de la Jeunesse Flamand à l’occasion de la COP20 et de la COP21.

Quelle est la priorité en Flandre vis-à-vis du changement climatique, notamment au regard des objectifs européens 2030 ?
Pour nous, il est avant tout question de réaliser des politiques climatiques efficientes et innovantes. Ces deux caractéristiques – efficience et innovation – traduisent la nécessité d’un changement de modèle économique. C’est ce que l’on appelle le « changement structurel », voire le « changement de système ». Par exemple, notre modèle actuel en termes de mobilité est largement profitable à l’utilisation de la voiture essence ou diesel. Notamment parce que l’espace et les infrastructures que nous allouons à la voiture le permettent. Le changement structurel revient donc à changer le système de produit, en encourageant notamment un système de service, basé par exemple dans le cadre de la mobilité urbaine sur le covoiturage, qui est un service de mobilité alternatif.
Nous pouvons prendre deux exemples afin d’illustrer ce que nous attendons d’une politique « efficiente » et « innovante ». C’est-à-dire, d’une politique qui permette de réduire les émissions de CO2 afin d’atteindre les objectifs 2030.
Quels seraient alors les trois « dossiers clés » sur lesquels les politiques climatiques devraient se concentrer ?
Il y a en effet des dossiers pour implémenter des politiques publiques en matière de climat avec une direction « 0 CO2 » à l’horizon 2050.
L’Etat peut-il être un support dans ce cas ?
Oui certainement, mais cela ne doit pas perturber ce que l’on appelle « le système de marché ». L’Etat, par une offre de subside peut mettre à disposition des consommateurs un instrument incitant à l’achat de panneaux solaires. Cependant, cela ne doit pas être à terme le seul recours par lequel nous pouvons nous procurer ce genre de technologies. Notamment, le subside – si subside il y a – doit décroître chaque année, car l’on se rend compte que cela pousse le consommateur à investir plus vite, au sens où il craint que d’une année à l’autre, l’apport de l’Etat s’amoindrisse.
Mais la Finlande n’est-elle pas un pays riche ?
C’est vrai oui, mais là aussi il faut penser à long terme, et pas à court terme ! Si l’on aborde le problème avec l’idée que nous allons produire à Anvers de l’acier grâce à des technologies neutres en carbone, cela nous offre d’ores et déjà un avantage de compétitivité sur nos voisins, et donc des opportunités de rendement. La Finlande est un pays riche – c’est certain – mais nous allons tous devoir chercher les mêmes solutions à terme ! Le réchauffement climatique est un risque pour chacun d’entre nous. Et cela va nécessiter sans nul doute une évolution des comportements à l’échelle globale. Mais changer notre comportement, c’est aussi stimuler le marché, et donc quelque part accélérer notre adaptation face au changement climatique.
On a parfois l’impression que les entreprises ne souhaitent pas aborder le sujet à propos de ces potentiels bénéfices, mais plutôt qu’elles se concentrent sur des sujets comme l’ETS par exemple ?
L’ETS est avant tout un angle d’attaque pour les entreprises, mais cela démontre un problème fondamental en effet. Par exemple, le gouvernement se retrouve actuellement face à ses entreprises productrices de fuel qui – à Gand – offrent énormément d’emplois. C’est très difficile de les convaincre sur le fait que les technologies neutres en carbone sont susceptibles d’offrir bien plus d’opportunités en terme d’emploi et d’investissement. Cela demande aux industries des sacrifices, il faudrait sacrifier des emplois pour en recréer d’autres par la suite. L’employeur, tout comme la base salariale, se focalise sur l’activité présente, et cela peut être compréhensible.
Par conséquent, les entreprises menacent généralement le gouvernement de délocalisation, afin de faire pression sur le corps politique. Certes, sur le court-terme, un processus de transition technologique augmente les risques en termes de coût pour les entreprises. Mais sur le long-terme, et avec des outils solides, cela peut être bénéfique. Ce qu’il nous manque, c’est une « roadmap » sur une durée d’environ 20 à 30 ans, et par laquelle nous pourrions offrir un accompagnement cohérent vers de nouveaux produits et des services alternatifs.
Toutefois, nous ne sommes pas rigides à ce point ! Beaucoup d’entreprises bénéficient aujourd’hui de ce que l’on appelle le « tout-gratuit ». Ce système exclut certaines entreprises d’une redevance sur les émissions qu’elles produisent, ce qui leur donne un avantage de compétitivité conséquent sur leurs tiers et les dissuade généralement de quitter le territoire belge, voire européen.
De ce que je semble avoir compris, il semblerait que ce système ne fonctionne pas très bien ?
En effet, il fonctionne mal car la pression du lobby a induit la mise en place d’un large système d’exception. On se retrouve donc avec de nombreuses entreprises bénéficiant du « tout-gratuit », et cela tend à perturber le marché.
Toutefois, j’apprécie le système ETS car contrairement à la taxe carbone, il y a un plafond. Chaque année la Commission européenne redéfinit le taux de CO2 que nous pouvons produire, et les limites sont de facto clairement définies. Pour résolver les défis liés au changement climatique, il nous faut clairement des limites ! Autrement, nous n’atteindrons pas l’objectif souhaité. Avec la taxe carbone, on appose un prix sur la tonne de CO2 produite, mais l’on n’impose clairement aucun plafond. Il n’y a donc aucune limite apposée à la consommation. C’est pourquoi le système ETS est une avancée sans précédent !
Cependant, nous rencontrons une autre difficulté vis-à-vis du prix actuel de la tonne de CO2, qui est peu élevé. Cela n’incite donc pas les industries à limiter leur production et à trouver des solutions alternatives. Plus encore, les industries ont tendance à faire du profit grâce à ce système, en augmentant le prix du produit adressé au consommateur au motif qu’elles paient une redevance sur leurs émissions, alors qu’en réalité la redevance imposée par le système ETS est moindre et ne leur coûte quasiment rien !
Pour nous, il est avant tout question de réaliser des politiques climatiques efficientes et innovantes. Ces deux caractéristiques – efficience et innovation – traduisent la nécessité d’un changement de modèle économique. C’est ce que l’on appelle le « changement structurel », voire le « changement de système ». Par exemple, notre modèle actuel en termes de mobilité est largement profitable à l’utilisation de la voiture essence ou diesel. Notamment parce que l’espace et les infrastructures que nous allouons à la voiture le permettent. Le changement structurel revient donc à changer le système de produit, en encourageant notamment un système de service, basé par exemple dans le cadre de la mobilité urbaine sur le covoiturage, qui est un service de mobilité alternatif.
Nous pouvons prendre deux exemples afin d’illustrer ce que nous attendons d’une politique « efficiente » et « innovante ». C’est-à-dire, d’une politique qui permette de réduire les émissions de CO2 afin d’atteindre les objectifs 2030.
- La mobilité
- Le bâtiment
Quels seraient alors les trois « dossiers clés » sur lesquels les politiques climatiques devraient se concentrer ?
Il y a en effet des dossiers pour implémenter des politiques publiques en matière de climat avec une direction « 0 CO2 » à l’horizon 2050.
- Mobilité et transport
L’Etat peut-il être un support dans ce cas ?
Oui certainement, mais cela ne doit pas perturber ce que l’on appelle « le système de marché ». L’Etat, par une offre de subside peut mettre à disposition des consommateurs un instrument incitant à l’achat de panneaux solaires. Cependant, cela ne doit pas être à terme le seul recours par lequel nous pouvons nous procurer ce genre de technologies. Notamment, le subside – si subside il y a – doit décroître chaque année, car l’on se rend compte que cela pousse le consommateur à investir plus vite, au sens où il craint que d’une année à l’autre, l’apport de l’Etat s’amoindrisse.
- Industrie
Mais la Finlande n’est-elle pas un pays riche ?
C’est vrai oui, mais là aussi il faut penser à long terme, et pas à court terme ! Si l’on aborde le problème avec l’idée que nous allons produire à Anvers de l’acier grâce à des technologies neutres en carbone, cela nous offre d’ores et déjà un avantage de compétitivité sur nos voisins, et donc des opportunités de rendement. La Finlande est un pays riche – c’est certain – mais nous allons tous devoir chercher les mêmes solutions à terme ! Le réchauffement climatique est un risque pour chacun d’entre nous. Et cela va nécessiter sans nul doute une évolution des comportements à l’échelle globale. Mais changer notre comportement, c’est aussi stimuler le marché, et donc quelque part accélérer notre adaptation face au changement climatique.
On a parfois l’impression que les entreprises ne souhaitent pas aborder le sujet à propos de ces potentiels bénéfices, mais plutôt qu’elles se concentrent sur des sujets comme l’ETS par exemple ?
L’ETS est avant tout un angle d’attaque pour les entreprises, mais cela démontre un problème fondamental en effet. Par exemple, le gouvernement se retrouve actuellement face à ses entreprises productrices de fuel qui – à Gand – offrent énormément d’emplois. C’est très difficile de les convaincre sur le fait que les technologies neutres en carbone sont susceptibles d’offrir bien plus d’opportunités en terme d’emploi et d’investissement. Cela demande aux industries des sacrifices, il faudrait sacrifier des emplois pour en recréer d’autres par la suite. L’employeur, tout comme la base salariale, se focalise sur l’activité présente, et cela peut être compréhensible.
Par conséquent, les entreprises menacent généralement le gouvernement de délocalisation, afin de faire pression sur le corps politique. Certes, sur le court-terme, un processus de transition technologique augmente les risques en termes de coût pour les entreprises. Mais sur le long-terme, et avec des outils solides, cela peut être bénéfique. Ce qu’il nous manque, c’est une « roadmap » sur une durée d’environ 20 à 30 ans, et par laquelle nous pourrions offrir un accompagnement cohérent vers de nouveaux produits et des services alternatifs.
Toutefois, nous ne sommes pas rigides à ce point ! Beaucoup d’entreprises bénéficient aujourd’hui de ce que l’on appelle le « tout-gratuit ». Ce système exclut certaines entreprises d’une redevance sur les émissions qu’elles produisent, ce qui leur donne un avantage de compétitivité conséquent sur leurs tiers et les dissuade généralement de quitter le territoire belge, voire européen.
De ce que je semble avoir compris, il semblerait que ce système ne fonctionne pas très bien ?
En effet, il fonctionne mal car la pression du lobby a induit la mise en place d’un large système d’exception. On se retrouve donc avec de nombreuses entreprises bénéficiant du « tout-gratuit », et cela tend à perturber le marché.
Toutefois, j’apprécie le système ETS car contrairement à la taxe carbone, il y a un plafond. Chaque année la Commission européenne redéfinit le taux de CO2 que nous pouvons produire, et les limites sont de facto clairement définies. Pour résolver les défis liés au changement climatique, il nous faut clairement des limites ! Autrement, nous n’atteindrons pas l’objectif souhaité. Avec la taxe carbone, on appose un prix sur la tonne de CO2 produite, mais l’on n’impose clairement aucun plafond. Il n’y a donc aucune limite apposée à la consommation. C’est pourquoi le système ETS est une avancée sans précédent !
Cependant, nous rencontrons une autre difficulté vis-à-vis du prix actuel de la tonne de CO2, qui est peu élevé. Cela n’incite donc pas les industries à limiter leur production et à trouver des solutions alternatives. Plus encore, les industries ont tendance à faire du profit grâce à ce système, en augmentant le prix du produit adressé au consommateur au motif qu’elles paient une redevance sur leurs émissions, alors qu’en réalité la redevance imposée par le système ETS est moindre et ne leur coûte quasiment rien !
- Le bâtiment

C’est simple dans les faits, mais cela n’a-t-il pas un prix ? Qui convaincre dans ce cas là ? Le consommateur, ou bien plus en amont, les promoteurs immobiliers voire l’Etat ?
Cela est relatif car en Belgique, notamment en Flandre, on connaît une forte concentration de propriétaires. Donc selon le secteur, la demande se diversifie et ne s’adresse pas forcément aux promoteurs par exemple, où à l’Etat. Bien sûr, nous pouvons mettre en place un système de subsides. Quand bien même, le propriétaire – et donc le consommateur – est celui qui décide en dernier ressort des modifications qu’il souhaite apporter à son bâtiment.
En revanche, il est vrai que dans le cas des logements sociaux, le gouvernement peut inciter le secteur immobilier à construire ce que l’on appelle des bâtiments « passifs », c’est-à-dire, des bâtiments qui ont une consommation d’énergie neutre.
Il est vrai notamment qu’il peut être difficile de convaincre le secteur banquier d’offrir des subsides pour la rénovation d’un bâtiment appartenant à un particulier. Là aussi, il faut pouvoir chercher les moyens d’offrir des solutions avec des taux d’intérêt moindres, voire des subsides.
Pour terminer, parlons de la Belgique plus généralement. Les régions ont enfin trouvé un accord – le "burden sharing" – pour la période 2013-2020. Et pour la période post-2020 ?
Oui, nous devons absolument trouver un accord pour l’après-2020, mais l’expliquer relève d’un défi technique ! En 2008, la Commission européenne a institué l’effort sharing afin de diminuer le taux d’émissions de GES d’ici à 2020, en comparaison avec les chiffres de l’année 1990. En Belgique, l’échelle régionale a la prééminence en matière de politiques climatiques, et cela tend à poser problème. Car si l’effort sharing pour la Belgique est estimé à 15%, qu’est-ce-que cela veut dire concrètement pour les régions ? C’est un vrai défi, et c’est pourquoi il nous a fallu des années pour réaliser le burden sharing en Belgique !
Mais je pense aussi que cela est dû à un certain manque d’intérêt, et l’on s’en est bien rendu compte avec la COP21 qui s’est tenue à Paris l’an dernier. Cet évènement a refocalisé l'attention sur le réchauffement climatique, notamment grâçe à la pression des médias, des lobbies et des ONGs. Il s’est donc opéré une sorte de « déclic » en décembre dernier : la Belgique est progressivement apparue comme un « mauvais élève », sur qui de nombreux d’acteurs se sont efforcés d’attirer l’attention du public.
Enfin, on peut aussi penser que le jeu politique entre la Flandre et la Wallonie n’arrange pas notre situation. La Belgique est très communautaire, et de ce fait, nous n’avons aucune méthodologie commune en dépit du fait que ce soit une demande de la part de notre ministère. Ne pas avoir de métrologie fixe pour l’ensemble des régions – y compris pour l’ensemble des dossiers – nous désavantage lors des négociations européennes et internationales. Sans méthodologie, nous laissons beaucoup d’espaces dans les négociations, beaucoup de zones d’ombres qui peuvent donc être re-négociées. Une méthodologie fixe ferme donc les espaces ! Mais ce qu’on remarque, c’est qu’il y a surtout une volonté d'obtenir des mécanismes communs lorsqu’il est question de réduire l’effort européen, mais pas pour le reste !
Interview menée le 31/10/2016 par Laura Karam
Source du graphique :
[1] : http://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/en-belgique/emissions-belges/emissions-par-secteur
[1] : http://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/en-belgique/emissions-belges/emissions-par-secteur