15/12/2018 | La stratégie de l’Arabie Saoudite à la COP24 : convaincre que pétrole et société zéro-carbone ne sont pas incompatibles - par Cloé Mathurin
Plus personne ne peut le nier aujourd’hui : la combustion des énergies fossiles est largement responsable du changement climatique. Néanmoins, la question se pose dans le cadre d’un événement international tel que la COP 24 : faut-il convier les acteurs qui représentent les intérêts du pétrole, du gaz, ou encore du charbon autour de la table des négociations afin de trouver des solutions acceptables pour tout le monde ou faut-il au contraire les exclure afin d’éviter les tentatives de manipulation ?
Le choix qui a été fait à Katowice a plutôt été d’inclure l’industrie des énergies fossiles dans le processus même de l’organisation de la COP ; en effet, parmi les partenaires officiels de la Cop 24, on retrouve des leaders européens et polonais du gaz, du charbon et du pétrole.
Outre les pontes industriels, qu’en est-il des Etats qui ont le moins intérêt à voir la part d’énergies fossiles diminuer du mix énergétique mondial ? L’Arabie Saoudite en fait partie, en tant que deuxième producteur mondial de pétrole, après les Etats-Unis qui sont les leaders mondiaux, et avant la Russie qui occupe la troisième place du podium. Ces trois mêmes pays ont la semaine passée fait parler d’eux en refusant d’ « accueillir favorablement» le rapport du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5°C et ses différents scénarios futurs potentiels. A la place, ces Etats ont insisté pour seulement « prendre note » des conclusions du GIEC, en jetant donc un certain froid dans les discussions, qui plaçaient beaucoup d’espoir dans la prise en compte effective de ce rapport crucial par les parties.
J’ai donc voulu savoir quelle était la position qu’un Etat pétrolier tel que l’Arabie Saoudite soutenait publiquement à la COP à cette fin je me suis rendue à l’une des événements organisé en marge des négociations qu’elle organise au sein du pavillon du Gulf Countries Council, et qui avait pour thème les technologies de captage et de stockage du dioxyde de carbone (CCS, Carbon Capture and Storage en anglais). L’idée de cette technologie est de séquestrer les émissions de CO2 puis de les compresser et de les enfouir sous terre, dans des formations géologiques situées à plus d’un kilomètre en profondeur, afin de décarboner l’atmosphère sans renoncer à un mode de vie basé sur la consommation des énergies fossiles.
Lors de cet événement, des représentants d’intérêts issus de l’industrie pétrolière et pétrochimique, ainsi que du secteur du gaz étaient présents. Un représentant de Saudi Aramco, la compagnie pétrolière et de gaz naturel nationale saoudienne, et un représentant de l’IPIECA (association des producteurs de pétrole et de gaz pour les enjeux environnementaux et sociaux, qui montre les efforts déployés par ces industries pour se « verdir ») nous ont assuré toute leur confiance dans cette technologie de séquestration du carbone. Bien que la recherche dans ce secteur ait, selon eux, grandement besoin d’investisseurs et de soutien politique, les intervenants ont insisté sur le fait que cette technologie était efficace et avait déjà fait ses preuves lors de plusieurs projets. Même si l’efficacité en elle-même n’est pas remise en doute, il faut toutefois souligner que cette technologie est d’une part très coûteuse, et d’autre part est difficile à appliquer dans de nombreuses régions : des vastes territoires désertiques (telles que l’Arabie Saoudite) seront en effet plus propices à l’enfouissement de carbone que des zones fortement peuplées, sans parler des réticences que peuvent exprimer les citoyens à voir des poches de CO2 enterrées dans leurs sols. La mise en place de cette technologie à grande échelle reste donc aujourd’hui très improbable et laisse planer beaucoup de doute quant à la dangerosité potentielle de tels projets.
Les motivations des acteurs sont évidentes, mais leur argumentaire reste cependant assez étonnant. Ils font preuve d’un optimisme infaillible, en arguant que les technologies de séquestration, loin d’être une solution par dépit, seraient bien au contraire tout à fait légitimes dans la transition vers une économie zéro-carbone. Le représentant d’Aramco nous a par exemple exposé un mix énergétique basé sur seulement 18% d’énergies renouvelables et 34% de CCS.
Le discours mobilisé par les industries fossiles est néanmoins paradoxal : en effet, elles utilisent un argumentaire basé sur le rapport du GIEC, et s’appuient notamment sur leurs scénarios qui font la part belle aux technologies de séquestration du carbone (seul un scénario atteint les objectifs de 1,5°C sans recours aux CCS), alors que la semaine passée, le pays refusait d’accueillir les résultats présentés par le panel de scientifiques. Une citation issue du rapport du GIEC s’est d’ailleurs glissée dans la présentation : « sans les technologies de séquestration du carbone, les objectifs climatiques sur le long-terme pourraient être inatteignables ». L’argument-clé de ces groupes, c’est que vu l’urgence climatique, ce recours à la technologie « n’est pas une option », comme l’a répété le Dr. Tidjani Niass pour Saudi Aramco. Ce n’est donc pas une surprise que l’Arabie Saoudite cherche à se positionner en matière de recherches sur le développement de cette technologie.
A la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux laisser les énergies fossiles dans le sol et travailler sur une remise en cause de nos modes de vie et de sources d’énergie, le représentant d’Aramco a répondu sans cynisme que ce n’était pas sa compagnie qui préconisait un recours à ce genre de technologies, mais bien le GIEC lui-même. Il ajouté qu’il était sans aucun doute plus pertinent, au vu de l’urgence, de travailler « à partir des infrastructures énergétiques existantes » car le scénario « comportemental » du GIEC, sans recours aux CCS, était celui qui présentait le moins de probabilité d’aboutir en termes d’ambitions climatiques.
Pour les Saoudiens, c’est clair, la transition bas-carbone se fera avec le pétrole. Contrairement à l’administration Trump, l’Arabie Saoudite et son industrie ont fait le choix de ne pas minimiser l’ampleur du changement climatique (en adoptant toutefois une position ambivalente par rapport aux conclusions du GIEC). Le royaume préfère prendre part activement aux conférences climatiques pour faire valoir sa vision résolument tournée vers les solutions technologiques, et tente de convaincre les participants qu’une transition vers le zéro-carbone est possible sans remettre en cause nos modes de vie et de consommation. Cependant, les Saoudiens semblent oublier que même si les technologies de séquestration peuvent potentiellement offrir une solution à l’échelle locale adaptée à certains environnements spécifiques, il est très peu probable que celles-ci puissent fonctionner sur une échelle globale. Il semblerait que les pays producteurs de pétrole refusent encore, en 2018, d’admettre qu’une sortie des énergies fossiles est sans aucun doute inévitable pour atteindre les objectifs de Paris.
Pour aller plus loin au sujet des technologies de CCS, ce mémoire réalisé par un étudiant de l’ULB analyse les causes de l’échec du déploiement du CCS ces dernières années.