La transition juste : de quoi s’agit-il et quelle est son importance dans les négociations pour le climat ?
par François Herinckx
Le thème de la solidarité et de la « transition juste » s’avère être cher à la Pologne qui en fait l’un des messages centraux de sa présidence de la COP24. Le choix de la ville hôte de Katowice, bastion minier et industriel en pleine transformation économique, illustre cette position. Mais au-delà du constat de la nécessité d’une telle transition, la planification et les actions par les états tardent à avoir lieu. Explication du concept de « transition juste », de son importance dans l’action climatique et de sa place à venir lors de la COP24 en décembre.
La transition juste, qu’est-ce que c’est ?
Le concept de “transition juste” part d’un constat simple : pour réaliser la diminution immédiate et drastique d’émissions de gaz à effets de serre, certains secteurs d’activités économiques sont amenés à subir d’importantes restructurations. C’est le cas par exemple des secteurs de l’extraction d’énergie fossile, des transports, de l’agriculture, de la foresterie. Au total ce sont des millions de travailleurs et des régions industrielles entières qui risquent d’être impactés négativement par la transition vers une économie bas-carbone. D’un autre côté, la transition écologique est aussi source de création d’emplois, de diversification économique, de reconversion, entre autres et offre le potentiel d’aller vers plus de justice sociale, aussi bien au nord qu’au sud [1][2].
L’idée de la transition juste est donc de planifier et de mettre en œuvre les politiques nécessaires à ce que ces deux objectifs – protection de l’environnement et protection sociale – se renforcent mutuellement au lieu de s’opposer. C’est faire de la transition écologique un outil de justice sociale et de la justice sociale un moteur de la transition écologique [1]. Cette vision, illustrée par le slogan « no jobs on a dead planet », c’est ce que défendent aujourd’hui les syndicats du monde entier qui militent pour inclure la question sociale dans les négociations climatiques et éviter que l’écologie ne devienne un nouvel instrument d’oppression des travailleurs [3]. Entre les mesures néolibérales socialement aveugles et le discours populiste qui prétend protéger les travailleurs menacés par la transition écologique, une autre voie – celle de la transition juste – doit être imaginée et investie.
Pourquoi est-ce important ?
C’est d’abord une question morale. L’expression de “transition juste” se réfère au principe d’équité (qui constitue une base de l’accord de Paris de 2015) qui veut que les efforts de la transition écologique soient différenciés en fonction de la responsabilité et de la capacité d’action de chacun et tiennent par ailleurs compte de la vulnérabilité de tous. Ainsi, il n’est pas envisageable que la lutte contre le changement climatique se fasse au détriment des travailleurs les plus vulnérables socialement et souvent relativement peu responsables d’émissions.
Ensuite par souci de cohérence : la lutte contre les changements climatiques s’inscrit dans le cadre plus large du développement durable défini par les 17 objectifs de développement durable (ou Sustainable Development Goals, SDG) adoptés par l’ONU en 2015. Ceux-ci envisagent la pauvreté, les inégalités, la paix, l’environnement comme autant de défis simultanés qui doivent être relevés de manière globale, en lien les uns avec les autres. Un de ces objectifs ne peut pas prendre le dessus sur les autres. À ce titre, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne doit pas être envisagée en opposition à la baisse des inégalités ou à l’accès à un travail décent et inversement.
Enfin, intégrer la dimension sociale et la notion de justice à la transition écologique est une condition à son succès, et ce pour deux raisons. Premièrement parce que c’est gagner le soutien d’autant de citoyens que possible (travailleurs, employeurs, investisseurs). Si la transition écologique est source d’injustice (perte d’emploi, précarisation, hausse du prix de l’énergie, etc.) il est certain que les mesures climatiques seront perçues comme négatives, suscitant le rejet. A l’inverse, si la transition écologique permet plus d’égalité, de meilleures conditions de vie et une économie prospère, le plus grand nombre voudra y contribuer, alimentant la confiance et l’engouement collectif. Deuxièmement c’est se donner les moyens de répondre aux besoins d’une économie en transition vers le bas-carbone. À titre d’exemple, le secteur de l’énergie ou celui du bâtiment ont un grand manque de travailleurs qualifiés pour le développement rapide du renouvelable et de l’habitat basse consommation. La reconversion des travailleurs et l’acquisition de compétences adaptées sont donc des éléments essentiels à la transition de ces deux secteurs. De manière générale, les besoins d’une économie bas-carbone n’ont une chance d’être remplis qu’en tenant compte des changements requis en matière d’emploi, de reconversion, d’acquisition de nouvelles compétences. Ainsi, on voit qu’intégrer la question sociale est une condition indispensable au succès d’une transition rapide, efficace et juste envers tous. Il faut voir bien-être social et protection de l’environnement comme deux objectifs indissociables se renforçant mutuellement [4].
En pratique, quelles actions pour une transition juste ?
Mais en pratique, comment organiser cette transition juste ? Quelles sont les mesures à mettre en place et comment ? En 2015, l’Organisation Internationale du Travail (OIT, l’une des agences spécialisées de l’ONU) publiaient ses Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous qui tente de répondre à cette question en proposant une série de mesures et de politiques à mener par les états pour faciliter leur transition du point de vue social. Ces principes directeurs se séparent en trois grandes catégories.
(1) des mesures macroéconomiques et sectorielles : penser des politiques et investissement cohérents au niveau national, imposer des objectifs et des plans de transition par secteurs, développer les infrastructures en fonction des besoins;
(2) des mesures pour l’emploi : assurer la reconversion des travailleurs et l’acquisition de nouvelles compétences, lancer des politiques actives du marché du travail pour les personnes sans emploi, promouvoir et financer la diversification économique des régions sensibles;
(3) des mesures de protection sociale : assurer la protection sociale des travailleurs dans les industries à risque, garantir des conditions décentes et attractives dans les secteurs durables (rémunération décente, syndicalisation possible, travail sain et sûr).
Par ailleurs, le rapport insiste sur l’importance centrale du dialogue social entre gouvernements, entreprises et syndicats. Une voix et un pouvoir de décision doivent être donnés aux représentants des communautés de travailleurs. C’est non seulement une question de démocratie et de confiance mais aussi une condition à ce que les mesures entreprises correspondent réellement aux besoins des travailleurs concernés [1,2,5].
Mais une difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas une seule et unique approche à la transition juste. La diversité des situations économiques et sociales (d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays) fait que les principes de l’OIT doivent être adaptés par chaque pays aux réalités auxquelles il fait face. A ce titre, les syndicats sont clairs : la planification et l’action se situent au niveaux national et infranational (également aussi au niveau régional, européen par exemple). C’est donc de la responsabilité des états de les mettre en œuvre [1,4].
De plus, la pluralité des mesures requises et l’importance d’un dialogue social véritable et pérenne requièrent du temps. Entreprendre une transition juste c’est donc concevoir des stratégies sur le long-terme, qui soient globales et cohérentes entre elles. Mais long-terme ne signifie pas que la planification peut attendre. Au contraire, celle-ci doit impérativement avoir lieu maintenant. Il est vital que cela se passe avant que les risques liés à la transition (perte d’emplois, désertification économique, fracture sociale) ne prennent le dessus sur les opportunités (création d’emplois décents, diversification, bien-être social) que celle-ci offre également [1]. À titre d’exemple, le phase-out du charbon doit donner lieu à des programmes de reconversion et de protection sociale avant que les travailleurs de ce secteur ne se retrouvent face au mur. C’est par exemple le cas au Canada où des fonds sont spécifiquement alloués aux travailleurs du charbon dans le cadre du phase-out de leur industrie [6].
Quelle place pour la transition juste à la COP24 ?
Planifier et mettre en œuvre la transition juste relève donc de la compétence des états. Mais alors, quelle place celle-ci doit-elle occuper à la table des négociations internationales et à la COP24 étant donné que de grands principes directeurs existent déjà (ceux de l’OIT) et que l’accord de Paris octroie une place importante à la transition juste, bien que seulement dans son préambule ?
Tout d’abord il est important que le thème de la transition juste reste sur la table étant donné le rôle des COP d’officialiser l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre états. Maintenir le thème parmi ces sommets permet donc de garantir une pression collective qui donne lieu à une émulation positive.
Ensuite parce que les pays traînent à agir. Face à cette lenteur, de nombreuses voix s’élèvent. Ce fut récemment le cas au Global Climate Action Summit (GCAS) où plusieurs syndicats ont appelé à une ambition et une action renouvelée de la part des gouvernements [7]. Au vu de l’inaction, les COP constituent malgré tout un cadre qui peut servir à pressuriser les états. A l’approche de la COP24, où le Paris Rulebook doit être finalisé, certains plaident pour l’intégration de la transition juste dans les contributions nationalement déterminées (NDC) [1]. Dans l’idéal, l’intégration des stratégies de transition dans les NDC contiendrait deux volets :
Une telle procédure serait idéale et porterait ses fruits, mais il est cependant illusoire d’espérer qu’elle soit rendue obligatoire. En effet, l’accord de Paris n’étant pas contraignant et l’agenda de la COP24 étant déjà surchargé, cela ne risque pas d’arriver en décembre prochain à Katowice.
En revanche, les syndicats espèrent beaucoup de la présidence polonaise qui fait de la transition juste un de ses thèmes principaux. La Confédération européenne des syndicats (CES) s’est en tout cas saisie de l’occasion en proposant une ébauche de déclaration ministérielle sur la transition juste et le travail décent. Après un franc soutien de la part des états membres de l’UE et d’autres hors Europe, la Pologne a récupéré le document (déclaration de Silésie) et l’a mis à l’agenda de la conférence. Même si le texte reste assez général, son adoption en décembre constituerait un important moyen de pression supplémentaire à l’arsenal des syndicats qui pourront l’utiliser auprès des gouvernements signataires. Cette déclaration illustre bien les attentes que l’on peut avoir des COP : fournir un cadre international qui serve de référence et de moyen de pression à ce que les états mettent en œuvre et réalisent leurs engagements.
Conclusion
En conclusion, la présidence de la Pologne, fort dépendante du charbon, pourrait être l’opportunité de rappeler le lien obligé entre « social » et « climat ». Combiné à la nécessité de finaliser le Paris Rulebook et à la voix des syndicats, cette position polonaise pourrait peser en faveur de l’adoption de la déclaration de Silésie pour la transition juste. Un dossier à suivre en amont et pendant la COP24 donc, dont l’issue sera déterminante dans la capacité des états à atteindre leurs ambitions et à garantir la justice sociale et climatique.
Références
[1] Anabella ROSEMBERG, Embedding just transition in long-term decarbonization strategies: why, what, and how, World Resource Institute, disponible sur: https://www.wri.org/climate/expert-perspective/embedding-just-transition-long-term-decarbonization-strategies-why-what
[2] Mark CONWAY, Developing and Implementing Just Transition Policies, World Resource Institute, disponible sur: https://www.wri.org/climate/expert-perspective/developing-and-implementing-just-transition-policies
[3] Clare HENNIG, ‘No jobs on a dead planet': unions advocate for clear transition plan as economies go green, CBC News, 07 avril 2018, disponible sur: https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/unions-advocate-for-clear-transition-plan-green-economies-1.4608251
[4] CONFEDERATION EUROPEENNE DES SYNDICATS, Impliquer les syndicats dans la lutte contre le changement climatique pour construire une transition juste, 2018, disponible sur : https://www.etuc.org/en/publication/involving-trade-unions-climate-action-build-just-transition-guide-video#.WvqRZ4iFM2w
[5] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, 2015, disponible sur : http://www.ilo.org/global/topics/green-jobs/publications/WCMS_432864/lang--fr/index.htm
[7] INTERNATIONAL TRADE UNION CONFEDERATION, Unions at the Global Climate Action Summit – making the case for a Just Transition., 13 septembre 2018, disponible sur: https://www.ituc-csi.org/unions-at-the-global-climate
La transition juste, qu’est-ce que c’est ?
Le concept de “transition juste” part d’un constat simple : pour réaliser la diminution immédiate et drastique d’émissions de gaz à effets de serre, certains secteurs d’activités économiques sont amenés à subir d’importantes restructurations. C’est le cas par exemple des secteurs de l’extraction d’énergie fossile, des transports, de l’agriculture, de la foresterie. Au total ce sont des millions de travailleurs et des régions industrielles entières qui risquent d’être impactés négativement par la transition vers une économie bas-carbone. D’un autre côté, la transition écologique est aussi source de création d’emplois, de diversification économique, de reconversion, entre autres et offre le potentiel d’aller vers plus de justice sociale, aussi bien au nord qu’au sud [1][2].
L’idée de la transition juste est donc de planifier et de mettre en œuvre les politiques nécessaires à ce que ces deux objectifs – protection de l’environnement et protection sociale – se renforcent mutuellement au lieu de s’opposer. C’est faire de la transition écologique un outil de justice sociale et de la justice sociale un moteur de la transition écologique [1]. Cette vision, illustrée par le slogan « no jobs on a dead planet », c’est ce que défendent aujourd’hui les syndicats du monde entier qui militent pour inclure la question sociale dans les négociations climatiques et éviter que l’écologie ne devienne un nouvel instrument d’oppression des travailleurs [3]. Entre les mesures néolibérales socialement aveugles et le discours populiste qui prétend protéger les travailleurs menacés par la transition écologique, une autre voie – celle de la transition juste – doit être imaginée et investie.
Pourquoi est-ce important ?
C’est d’abord une question morale. L’expression de “transition juste” se réfère au principe d’équité (qui constitue une base de l’accord de Paris de 2015) qui veut que les efforts de la transition écologique soient différenciés en fonction de la responsabilité et de la capacité d’action de chacun et tiennent par ailleurs compte de la vulnérabilité de tous. Ainsi, il n’est pas envisageable que la lutte contre le changement climatique se fasse au détriment des travailleurs les plus vulnérables socialement et souvent relativement peu responsables d’émissions.
Ensuite par souci de cohérence : la lutte contre les changements climatiques s’inscrit dans le cadre plus large du développement durable défini par les 17 objectifs de développement durable (ou Sustainable Development Goals, SDG) adoptés par l’ONU en 2015. Ceux-ci envisagent la pauvreté, les inégalités, la paix, l’environnement comme autant de défis simultanés qui doivent être relevés de manière globale, en lien les uns avec les autres. Un de ces objectifs ne peut pas prendre le dessus sur les autres. À ce titre, la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne doit pas être envisagée en opposition à la baisse des inégalités ou à l’accès à un travail décent et inversement.
Enfin, intégrer la dimension sociale et la notion de justice à la transition écologique est une condition à son succès, et ce pour deux raisons. Premièrement parce que c’est gagner le soutien d’autant de citoyens que possible (travailleurs, employeurs, investisseurs). Si la transition écologique est source d’injustice (perte d’emploi, précarisation, hausse du prix de l’énergie, etc.) il est certain que les mesures climatiques seront perçues comme négatives, suscitant le rejet. A l’inverse, si la transition écologique permet plus d’égalité, de meilleures conditions de vie et une économie prospère, le plus grand nombre voudra y contribuer, alimentant la confiance et l’engouement collectif. Deuxièmement c’est se donner les moyens de répondre aux besoins d’une économie en transition vers le bas-carbone. À titre d’exemple, le secteur de l’énergie ou celui du bâtiment ont un grand manque de travailleurs qualifiés pour le développement rapide du renouvelable et de l’habitat basse consommation. La reconversion des travailleurs et l’acquisition de compétences adaptées sont donc des éléments essentiels à la transition de ces deux secteurs. De manière générale, les besoins d’une économie bas-carbone n’ont une chance d’être remplis qu’en tenant compte des changements requis en matière d’emploi, de reconversion, d’acquisition de nouvelles compétences. Ainsi, on voit qu’intégrer la question sociale est une condition indispensable au succès d’une transition rapide, efficace et juste envers tous. Il faut voir bien-être social et protection de l’environnement comme deux objectifs indissociables se renforçant mutuellement [4].
En pratique, quelles actions pour une transition juste ?
Mais en pratique, comment organiser cette transition juste ? Quelles sont les mesures à mettre en place et comment ? En 2015, l’Organisation Internationale du Travail (OIT, l’une des agences spécialisées de l’ONU) publiaient ses Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous qui tente de répondre à cette question en proposant une série de mesures et de politiques à mener par les états pour faciliter leur transition du point de vue social. Ces principes directeurs se séparent en trois grandes catégories.
(1) des mesures macroéconomiques et sectorielles : penser des politiques et investissement cohérents au niveau national, imposer des objectifs et des plans de transition par secteurs, développer les infrastructures en fonction des besoins;
(2) des mesures pour l’emploi : assurer la reconversion des travailleurs et l’acquisition de nouvelles compétences, lancer des politiques actives du marché du travail pour les personnes sans emploi, promouvoir et financer la diversification économique des régions sensibles;
(3) des mesures de protection sociale : assurer la protection sociale des travailleurs dans les industries à risque, garantir des conditions décentes et attractives dans les secteurs durables (rémunération décente, syndicalisation possible, travail sain et sûr).
Par ailleurs, le rapport insiste sur l’importance centrale du dialogue social entre gouvernements, entreprises et syndicats. Une voix et un pouvoir de décision doivent être donnés aux représentants des communautés de travailleurs. C’est non seulement une question de démocratie et de confiance mais aussi une condition à ce que les mesures entreprises correspondent réellement aux besoins des travailleurs concernés [1,2,5].
Mais une difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas une seule et unique approche à la transition juste. La diversité des situations économiques et sociales (d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays) fait que les principes de l’OIT doivent être adaptés par chaque pays aux réalités auxquelles il fait face. A ce titre, les syndicats sont clairs : la planification et l’action se situent au niveaux national et infranational (également aussi au niveau régional, européen par exemple). C’est donc de la responsabilité des états de les mettre en œuvre [1,4].
De plus, la pluralité des mesures requises et l’importance d’un dialogue social véritable et pérenne requièrent du temps. Entreprendre une transition juste c’est donc concevoir des stratégies sur le long-terme, qui soient globales et cohérentes entre elles. Mais long-terme ne signifie pas que la planification peut attendre. Au contraire, celle-ci doit impérativement avoir lieu maintenant. Il est vital que cela se passe avant que les risques liés à la transition (perte d’emplois, désertification économique, fracture sociale) ne prennent le dessus sur les opportunités (création d’emplois décents, diversification, bien-être social) que celle-ci offre également [1]. À titre d’exemple, le phase-out du charbon doit donner lieu à des programmes de reconversion et de protection sociale avant que les travailleurs de ce secteur ne se retrouvent face au mur. C’est par exemple le cas au Canada où des fonds sont spécifiquement alloués aux travailleurs du charbon dans le cadre du phase-out de leur industrie [6].
Quelle place pour la transition juste à la COP24 ?
Planifier et mettre en œuvre la transition juste relève donc de la compétence des états. Mais alors, quelle place celle-ci doit-elle occuper à la table des négociations internationales et à la COP24 étant donné que de grands principes directeurs existent déjà (ceux de l’OIT) et que l’accord de Paris octroie une place importante à la transition juste, bien que seulement dans son préambule ?
Tout d’abord il est important que le thème de la transition juste reste sur la table étant donné le rôle des COP d’officialiser l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre états. Maintenir le thème parmi ces sommets permet donc de garantir une pression collective qui donne lieu à une émulation positive.
Ensuite parce que les pays traînent à agir. Face à cette lenteur, de nombreuses voix s’élèvent. Ce fut récemment le cas au Global Climate Action Summit (GCAS) où plusieurs syndicats ont appelé à une ambition et une action renouvelée de la part des gouvernements [7]. Au vu de l’inaction, les COP constituent malgré tout un cadre qui peut servir à pressuriser les états. A l’approche de la COP24, où le Paris Rulebook doit être finalisé, certains plaident pour l’intégration de la transition juste dans les contributions nationalement déterminées (NDC) [1]. Dans l’idéal, l’intégration des stratégies de transition dans les NDC contiendrait deux volets :
- D’abord une évaluation des impacts – positifs et négatifs – sur l’emploi. Une sorte d’inventaire des transitions à venir, des secteurs, des régions et des catégories de travailleurs touchés afin d’obtenir une vision globale des enjeux.
- Une fois cet inventaire effectué, une liste de mesures qui répondent aux enjeux du pays pour garantir une transformation économique et sociale juste pour tous.
Une telle procédure serait idéale et porterait ses fruits, mais il est cependant illusoire d’espérer qu’elle soit rendue obligatoire. En effet, l’accord de Paris n’étant pas contraignant et l’agenda de la COP24 étant déjà surchargé, cela ne risque pas d’arriver en décembre prochain à Katowice.
En revanche, les syndicats espèrent beaucoup de la présidence polonaise qui fait de la transition juste un de ses thèmes principaux. La Confédération européenne des syndicats (CES) s’est en tout cas saisie de l’occasion en proposant une ébauche de déclaration ministérielle sur la transition juste et le travail décent. Après un franc soutien de la part des états membres de l’UE et d’autres hors Europe, la Pologne a récupéré le document (déclaration de Silésie) et l’a mis à l’agenda de la conférence. Même si le texte reste assez général, son adoption en décembre constituerait un important moyen de pression supplémentaire à l’arsenal des syndicats qui pourront l’utiliser auprès des gouvernements signataires. Cette déclaration illustre bien les attentes que l’on peut avoir des COP : fournir un cadre international qui serve de référence et de moyen de pression à ce que les états mettent en œuvre et réalisent leurs engagements.
Conclusion
En conclusion, la présidence de la Pologne, fort dépendante du charbon, pourrait être l’opportunité de rappeler le lien obligé entre « social » et « climat ». Combiné à la nécessité de finaliser le Paris Rulebook et à la voix des syndicats, cette position polonaise pourrait peser en faveur de l’adoption de la déclaration de Silésie pour la transition juste. Un dossier à suivre en amont et pendant la COP24 donc, dont l’issue sera déterminante dans la capacité des états à atteindre leurs ambitions et à garantir la justice sociale et climatique.
Références
[1] Anabella ROSEMBERG, Embedding just transition in long-term decarbonization strategies: why, what, and how, World Resource Institute, disponible sur: https://www.wri.org/climate/expert-perspective/embedding-just-transition-long-term-decarbonization-strategies-why-what
[2] Mark CONWAY, Developing and Implementing Just Transition Policies, World Resource Institute, disponible sur: https://www.wri.org/climate/expert-perspective/developing-and-implementing-just-transition-policies
[3] Clare HENNIG, ‘No jobs on a dead planet': unions advocate for clear transition plan as economies go green, CBC News, 07 avril 2018, disponible sur: https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/unions-advocate-for-clear-transition-plan-green-economies-1.4608251
[4] CONFEDERATION EUROPEENNE DES SYNDICATS, Impliquer les syndicats dans la lutte contre le changement climatique pour construire une transition juste, 2018, disponible sur : https://www.etuc.org/en/publication/involving-trade-unions-climate-action-build-just-transition-guide-video#.WvqRZ4iFM2w
[5] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, 2015, disponible sur : http://www.ilo.org/global/topics/green-jobs/publications/WCMS_432864/lang--fr/index.htm
[7] INTERNATIONAL TRADE UNION CONFEDERATION, Unions at the Global Climate Action Summit – making the case for a Just Transition., 13 septembre 2018, disponible sur: https://www.ituc-csi.org/unions-at-the-global-climate