27/11/2018 | L'ambition de l’UE dans l'action pour le climat est-elle contraignante… ou non ?
(continuation) - LULUCF et les forêts dans « l’Affaire Climat » - Par Anya Couthino

Comme mentionné dans la première partie de l'article : « L'ambition de l’UE dans l'action pour le climat est-elle contraignante… ou non ? », le troisième acte juridique européen contesté par les plaignants dans « l’Affaire Climat » est la réglementation sur l'Utilisation des Terres et du Changement d’Affectation des Terres et de la Foresterie (LULUCF).
Cette réglementation « établit les règles de comptabilité des émissions émises dans et extraites de l’atmosphère du secteur LULUCF » qui incluent les émissions d’activités telles que le déboisement ou, au contraire, la reforestation. Cela signifie que, par exemple, une terre cultivée qui a été convertie en forêt peut augmenter l’extraction des GES de l'atmosphère, ce qui est pris en compte dans la comptabilité des émissions du pays concerné. Les émissions seront également comptées si la conversion a lieu dans la direction opposée (de la forêt à une terre cultivée ou à une prairie) qui, cette fois, auront un résultat négatif dans le comptage des émissions puisqu’une terre cultivée et une prairie sont en général des puits de carbone plus faibles que les forêts. Et surtout que pour convertir une forêt en prairie, on doit déboiser et donc on libère le carbone stocké par les arbres. Il est important de souligner que les forêts sont cruciales dans l'action pour le climat grâce à leur énorme potentiel en termes de résistance aux aléas du changement climatique (CC), mais aussi pour atteindre l’objectif de 1,5°C.
Dans le cadre de « l’Affaire Climat », l'allégation des plaignants concernant la basse ambition de l'UE pour LULUCF est liée aux dommages qu'ils ont subis en raison de la politique insuffisante pour les forêts et les terres cultivées. Par exemple, les dommages provoqués par les feux (qui peuvent se produire à cause du changement climatique) au Portugal en 2017, ont détruit des maisons et brûlé les forêts de la famille de Carvalho entraînant un coût d’environ 15.000 €. L'UE est accusée d’être responsable de ce qui s'est passé. En effet, elle est responsable d’avoir fixé des objectifs climatiques bas, en particulier à travers l'insuffisance de la réglementation de LULUCF. Les lacunes de cette réglementation se traduisent par une action insuffisante dans le cadre des forêts au niveau national au Portugal qui affectent directement ou indirectement la résistance des forêts aux feux.
Reconnaissance de l’importance des systèmes forestiers
L'importance des forêts pour la réduction des émissions et l'adaptation au changement climatique est indéniable. Certaines études prouvent que, si la sylviculture atteint un certain niveau de durabilité dans le monde entier, les forêts pourraient « absorber » environ une gigatonne de carbone grâce à leur capacité naturelle de stockage du carbone dans la biomasse des arbres[1].
Cependant, en plus de leur rôle pour le climat, les forêts sont très importantes pour nous de par leur caractère multifonctionnel (c.f. la production de bois, la protection d'habitat, le maintien du cycle de l'eau et des éléments nutritifs, la conservation de la biodiversité et du paysage, la récréation).
La reconnaissance des valeurs des forêts, en particulier pour le développement, est reflétée dans l’Objectif du Développement Durable 15 (ODD ou SDG en anglais) qui nous alerte à « protéger, reconstituer et favoriser l'utilisation viable des écosystèmes terrestres, gérer les forêts d’une façon durable, combattre la désertification, arrêter et renverser le processus de dégradation de la terre, ainsi que la perte de biodiversité». Par ailleurs, le Forum des Nations Unies sur les Forêts a été créé bien avant l’établissement de SDGs, qui vise à favoriser « … la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts et qui vise à renforcer l'engagement politique à long terme à cet effet… ».
Tout cet effort international accentue l'urgence de l’action dans le secteur des forêts. Le déboisement/déforestation est une cause mais aussi une conséquence du CC. Ainsi, les forêts sont devenues une question importante dans les négociations climatiques. Par exemple, selon le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) (une entité indépendante qui collabore avec la CCNUCC), on estime que les émissions provoquées par le déboisement dans les années 1990 sont équivalentes à 5,8 gigatonnes de CO2/an, ce qui représentait environ 25% des émissions globales annuelles de GES.
Compte tenu que le LULUCF est l'une des politiques (parmi d’autres) qui a été conçue pour améliorer la situation des forêts, je vous invite à voir à continuation comment la question de la sylviculture a gagné l'attention dans l'arène politique internationale, et en particulier dans les négociations climatiques.
LULUCF et les forêts dans les négociations climatiques
LULUCF trouve ses origines à la CCNUCC COP7 en 2001, quand les parties ont pris une décision quant à l'utilisation des terres, au changement d'utilisation du sol et à la foresterie. Cependant, les forêts vues comme une solution pour le climat n’ont été formellement intégrées dans les négociations de la CCNUCC qu’à la COP 13 à Bali en 2007[2].
Par ailleurs, le besoin d'actions supplémentaires des forêts en tant qu’outils pour la réduction des GES et l'adaptation au CC est toujours à l’agenda politique. Par exemple, l'événement Forest Day a eu lieu l'année dernière à la COP23 à Bonn, en Allemagne. Plusieurs officiels ainsi que plusieurs scientifiques de rang élevé ont participé à cet évènement, montrant leur intérêt pour les forêts dans le cadre du changement climatique.
Parmi les sujets principaux discutés, on retrouve l’amélioration de l'implémentation de l'action pour le climat concernant la protection et la restauration forestières, les nouveaux développements des luttes contre la déforestation dans les chaînes d'approvisionnement, et les nouvelles plateformes pour l'action et le plaidoyer des forêts. En conclusion, nous avons ici souligné qu'il faut amplifier les efforts en foresterie, augmenter la volonté politique domestique dans les pays riches en forêts, et amplifier l'aide financière forestière dans la mesure de leur réduction du changement climatique et de leur potentiel d’adaptation.1 La volonté politique domestique des États Membres (EM) doit être encouragée par la politique ambitieuse au niveau européen, ce qui semble ne pas se produire pour le secteur LULUCF, et en particulier pour les forêts.
Revenant au sujet de « l’Affaire Climat », il est important de rappeler un des aspects du cas mis en cause. Comme vous vous en souvenez peut-être, en plus de leurs allégations concernant le LULUCF, les plaignants argumentent le fait que les bas objectifs de l'UE sont une infraction aux lois d’ordre supérieur qui protègent les droits fondamentaux de l'homme et obligent à protéger l'environnement, la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) et l'Accord de Paris (AP) parmi d’autres.
Il vaut la peine mentionner, que parmi plusieurs questions, l’AP a abordé également le problème des forêts. Cependant, une attention plus forte a été accordée au programme de REDD+. L'action pour les forêts globales a été renforcée par une série de décisions importantes. Par exemple, les gouvernements de la Norvège, de l'Allemagne et du Royaume Uni ont collectivement engagé $5 milliards supplémentaires au programme de REDD+ pour une durée de cinq ans (jusqu’à 2020). De plus, l'outil de guidage pour combattre le déboisement et les nouvelles données qui devraient améliorer la mesure, le rapportage et la vérification des efforts des pays dans cette matière étaient parmi les sujets discutés. Finalement, une des dispositions principales de l’AP était que l'inclusion de REDD+ devrait encourager les pays à mesurer les efforts dans la conservation et la gestion de la forêt comme une des composantes du progrès atteint pour le climat avec leur action.
Les négociations climatiques de l'année dernière (COP23) ont également eu des résultats positifs pour les forêts. L'agriculture a été adressée dans le processus de négociations, et l’agroforesterie (Fig. 1) est l'une des mesures avec beaucoup de potentiel dans ce secteur. Cette mesure, en réalité, est largement appliquée par les pays en tant qu'une des stratégies climatiques dans leurs contributions nationales déterminées (NDCs). On estime que non seulement l'agroforesterie a le potentiel élevé de compenser des émissions de GES (qui proviennent de déboisement). Elle contribue également à la conservation de la biodiversité, à la fertilité du sol et augmente la variété alimentaire, qui est cruciale pour la sécurité alimentaire. Par conséquent, elle peut aider à assouvir la demande en nourriture des populations croissantes, tout en étant également une mesure efficace pour éliminer la faim.
Les forêts et le LULUCF en Europe
Si on regarde de plus près la question des forêts en Europe, on note malheureusement que l'UE n'a pas de mandat pour une politique forestière commune, alors qu’elle en a par exemple pour l’agriculture (Politique Agricole Commune). Par conséquent, il y a un grand nombre de politiques et d’initiatives de l’UE visant les forêts. L'une d'entre elles est la réglementation LULUCF.
Dans le cas de « l’Affaire Climat », une des questions des forêts en jeu est celle liée à LULUCF. En effet, les plaignants contestent le point selon lequel l'engagement obligatoire pour chaque EM est caractérisé par la règle du « no debit ». Cette règle signifie que l’EM doit (juste) compenser la quantité de GES qu'il a émis dans l’atmosphère par une quantité équivalente d’extraction (dans les secteurs de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie), de sorte que la balance finale soit égale à « zéro ». Ceci signifie qu'il n'y a aucune incitation à ce qu'ils augmentent les extractions ou réduisent le déboisement.
La règle du « no debit » montre tout simplement l'absence d'ambition du secteur LULUCF et semble ne pas être en conformité avec l’objectif de l'Accord de Paris consistant à garder la hausse globale de la température en dessous de 2°C.[3] Pourquoi ? Parce que le maintien des puits de carbone n'est pas suffisant ! Les terrains forestiers doivent augmenter de manière significative afin d'avoir un effet positif pour l’« absorption » des GES. Pour cela, il devrait y avoir des extractions nettes.
Cette vue est partagée par les plaignants dans « l’Affaire Climat ». C'était également le point de vue du Parlement Européen quand il a proposé d’aller au-delà de la règle du « no debit », se référant dans ses allégations à l'Accord de Paris et en soulignant que les forêts, les terres agricoles et les zones humides joueront un rôle central pendant la période des émissions négatives, qui commencera dans les plus brefs délais[4].
Un autre problème important que présente la réglementation actuelle permet aux pays européens d'employer un montant limité de crédits (280 Mt de CO2) générés dans le secteur LULUCF pour équilibrer les émissions des secteurs de l’ESR et pour augmenter la déforestation de 10 % [3]. Selon les allégations des plaignants dans « l’Affaire Climat », c'est une mesure inutile de la réglementation LULUCF, dont les objectifs sont réalisables, et qui pourraient d’ailleurs représenter des enlèvements nets de CO2 dans ce secteur.
De ce fait, les plaignants dans « l’Affaire Climat » allèguent que les réductions nettes de la LULUCF devraient être comptées comme contribution à l'enlèvement d'émissions plutôt que permettant aux EM d'émettre plus de GES (jusqu'à 280 millions de t/an) dans des secteurs tels que le transport, les bâtiments, l'agriculture et les déchets.
Un autre aspect important, lié à l'aménagement forestier dans le cadre de LULUCF, est la méthode de mesure des émissions. Selon l'Article 8 de la proposition de réglementation de la Commission de l'UE concernant les émissions de CO2 des secteurs d'utilisation du sol (LULUCF) , les terrains avec la forêt « gérée » sont comptabilisés de la manière que chaque État Membre choisit son propre point de référence (ou année de référence). Cependant, s'il n'y a aucune augmentation significative des émissions de l’année à comparer par rapport au point de référence, les émissions ne seront pas comptabilisées, ce qui est trompeur en regard du véritable état des choses dans le secteur.
Si vous voulez en apprendre plus sur les « échappatoires » dans la réglementation LULUCF, je vous invite à consulter l’article de FERN, une organisation dont le focus principal est « sur les forêts et sur les droits des peuples des forêts dans les politiques et les pratiques de l'Union Européenne ».
Pour conclure, les trois actes juridiques de l'UE semblent avoir des lacunes et ne reflètent pas la pleine capacité de l'Union Européenne dans son action pour le climat. Ainsi, les requérants de « l’Affaire Climat » soutiennent que les obligations légalement contraignantes de l'UE exigent de l'Union d'établir l’objectif global d’au moins de 50% à 60% (en comparaison au niveau de 1990).
Néanmoins, afin d’obtenir gain de cause, les requérants doivent présenter les preuves des dommages qu'ils ont subis en raison de la politique climatique menée par l'UE, et en particulier par les trois actes juridiques décrits ci-dessus. Par conséquent, le deuxième article au sujet d'une ambition plus élevée dans la politique climatique de l'UE donnera une meilleure analyse sur les impacts réels de la politique climatique de l'UE sur la vie des citoyens européens et d’outre-mer. Ceci sera discuté dans le cadre des droits de l'homme et du caractère transfrontalier du droit environnemental et en particulier, de la politique climatique.
[1] – Ni, Y., Eskeland, G. S., Giske, J., & Hansen, J.-P. (2016). The global potential for carbon capture and storage from forestry. Carbon Balance and Management, 11, 3. http://doi.org/10.1186/s13021-016-0044-y
[2] - United Nations Framework Convention on Climate Change, (2017). Forests Day UNFCCC COP23. Bonn, Germany
[3] – Aho, H. (2018). Fern analysis of the EU’s LULUCF Regulation. FERN.
[4] - Amendment 4 and 6 from REPORT of 17 July 2017 on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on the inclusion of greenhouse gas emissions and removals from land use, land use change and forestry into the 2030 climate and energy framework and amending Regulation No 525/2013 of the European Parliament and the Council on a mechanism for monitoring and reporting greenhouse gas emissions and other information relevant to climate change.
*Toute l'information concernant « l’Affaire Climat » a été extraite de l’affaire T-330/18 soumise à la Cour Européenne de la Justice
Cette réglementation « établit les règles de comptabilité des émissions émises dans et extraites de l’atmosphère du secteur LULUCF » qui incluent les émissions d’activités telles que le déboisement ou, au contraire, la reforestation. Cela signifie que, par exemple, une terre cultivée qui a été convertie en forêt peut augmenter l’extraction des GES de l'atmosphère, ce qui est pris en compte dans la comptabilité des émissions du pays concerné. Les émissions seront également comptées si la conversion a lieu dans la direction opposée (de la forêt à une terre cultivée ou à une prairie) qui, cette fois, auront un résultat négatif dans le comptage des émissions puisqu’une terre cultivée et une prairie sont en général des puits de carbone plus faibles que les forêts. Et surtout que pour convertir une forêt en prairie, on doit déboiser et donc on libère le carbone stocké par les arbres. Il est important de souligner que les forêts sont cruciales dans l'action pour le climat grâce à leur énorme potentiel en termes de résistance aux aléas du changement climatique (CC), mais aussi pour atteindre l’objectif de 1,5°C.
Dans le cadre de « l’Affaire Climat », l'allégation des plaignants concernant la basse ambition de l'UE pour LULUCF est liée aux dommages qu'ils ont subis en raison de la politique insuffisante pour les forêts et les terres cultivées. Par exemple, les dommages provoqués par les feux (qui peuvent se produire à cause du changement climatique) au Portugal en 2017, ont détruit des maisons et brûlé les forêts de la famille de Carvalho entraînant un coût d’environ 15.000 €. L'UE est accusée d’être responsable de ce qui s'est passé. En effet, elle est responsable d’avoir fixé des objectifs climatiques bas, en particulier à travers l'insuffisance de la réglementation de LULUCF. Les lacunes de cette réglementation se traduisent par une action insuffisante dans le cadre des forêts au niveau national au Portugal qui affectent directement ou indirectement la résistance des forêts aux feux.
Reconnaissance de l’importance des systèmes forestiers
L'importance des forêts pour la réduction des émissions et l'adaptation au changement climatique est indéniable. Certaines études prouvent que, si la sylviculture atteint un certain niveau de durabilité dans le monde entier, les forêts pourraient « absorber » environ une gigatonne de carbone grâce à leur capacité naturelle de stockage du carbone dans la biomasse des arbres[1].
Cependant, en plus de leur rôle pour le climat, les forêts sont très importantes pour nous de par leur caractère multifonctionnel (c.f. la production de bois, la protection d'habitat, le maintien du cycle de l'eau et des éléments nutritifs, la conservation de la biodiversité et du paysage, la récréation).
La reconnaissance des valeurs des forêts, en particulier pour le développement, est reflétée dans l’Objectif du Développement Durable 15 (ODD ou SDG en anglais) qui nous alerte à « protéger, reconstituer et favoriser l'utilisation viable des écosystèmes terrestres, gérer les forêts d’une façon durable, combattre la désertification, arrêter et renverser le processus de dégradation de la terre, ainsi que la perte de biodiversité». Par ailleurs, le Forum des Nations Unies sur les Forêts a été créé bien avant l’établissement de SDGs, qui vise à favoriser « … la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts et qui vise à renforcer l'engagement politique à long terme à cet effet… ».
Tout cet effort international accentue l'urgence de l’action dans le secteur des forêts. Le déboisement/déforestation est une cause mais aussi une conséquence du CC. Ainsi, les forêts sont devenues une question importante dans les négociations climatiques. Par exemple, selon le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) (une entité indépendante qui collabore avec la CCNUCC), on estime que les émissions provoquées par le déboisement dans les années 1990 sont équivalentes à 5,8 gigatonnes de CO2/an, ce qui représentait environ 25% des émissions globales annuelles de GES.
Compte tenu que le LULUCF est l'une des politiques (parmi d’autres) qui a été conçue pour améliorer la situation des forêts, je vous invite à voir à continuation comment la question de la sylviculture a gagné l'attention dans l'arène politique internationale, et en particulier dans les négociations climatiques.
LULUCF et les forêts dans les négociations climatiques
LULUCF trouve ses origines à la CCNUCC COP7 en 2001, quand les parties ont pris une décision quant à l'utilisation des terres, au changement d'utilisation du sol et à la foresterie. Cependant, les forêts vues comme une solution pour le climat n’ont été formellement intégrées dans les négociations de la CCNUCC qu’à la COP 13 à Bali en 2007[2].
Par ailleurs, le besoin d'actions supplémentaires des forêts en tant qu’outils pour la réduction des GES et l'adaptation au CC est toujours à l’agenda politique. Par exemple, l'événement Forest Day a eu lieu l'année dernière à la COP23 à Bonn, en Allemagne. Plusieurs officiels ainsi que plusieurs scientifiques de rang élevé ont participé à cet évènement, montrant leur intérêt pour les forêts dans le cadre du changement climatique.
Parmi les sujets principaux discutés, on retrouve l’amélioration de l'implémentation de l'action pour le climat concernant la protection et la restauration forestières, les nouveaux développements des luttes contre la déforestation dans les chaînes d'approvisionnement, et les nouvelles plateformes pour l'action et le plaidoyer des forêts. En conclusion, nous avons ici souligné qu'il faut amplifier les efforts en foresterie, augmenter la volonté politique domestique dans les pays riches en forêts, et amplifier l'aide financière forestière dans la mesure de leur réduction du changement climatique et de leur potentiel d’adaptation.1 La volonté politique domestique des États Membres (EM) doit être encouragée par la politique ambitieuse au niveau européen, ce qui semble ne pas se produire pour le secteur LULUCF, et en particulier pour les forêts.
Revenant au sujet de « l’Affaire Climat », il est important de rappeler un des aspects du cas mis en cause. Comme vous vous en souvenez peut-être, en plus de leurs allégations concernant le LULUCF, les plaignants argumentent le fait que les bas objectifs de l'UE sont une infraction aux lois d’ordre supérieur qui protègent les droits fondamentaux de l'homme et obligent à protéger l'environnement, la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) et l'Accord de Paris (AP) parmi d’autres.
Il vaut la peine mentionner, que parmi plusieurs questions, l’AP a abordé également le problème des forêts. Cependant, une attention plus forte a été accordée au programme de REDD+. L'action pour les forêts globales a été renforcée par une série de décisions importantes. Par exemple, les gouvernements de la Norvège, de l'Allemagne et du Royaume Uni ont collectivement engagé $5 milliards supplémentaires au programme de REDD+ pour une durée de cinq ans (jusqu’à 2020). De plus, l'outil de guidage pour combattre le déboisement et les nouvelles données qui devraient améliorer la mesure, le rapportage et la vérification des efforts des pays dans cette matière étaient parmi les sujets discutés. Finalement, une des dispositions principales de l’AP était que l'inclusion de REDD+ devrait encourager les pays à mesurer les efforts dans la conservation et la gestion de la forêt comme une des composantes du progrès atteint pour le climat avec leur action.
Les négociations climatiques de l'année dernière (COP23) ont également eu des résultats positifs pour les forêts. L'agriculture a été adressée dans le processus de négociations, et l’agroforesterie (Fig. 1) est l'une des mesures avec beaucoup de potentiel dans ce secteur. Cette mesure, en réalité, est largement appliquée par les pays en tant qu'une des stratégies climatiques dans leurs contributions nationales déterminées (NDCs). On estime que non seulement l'agroforesterie a le potentiel élevé de compenser des émissions de GES (qui proviennent de déboisement). Elle contribue également à la conservation de la biodiversité, à la fertilité du sol et augmente la variété alimentaire, qui est cruciale pour la sécurité alimentaire. Par conséquent, elle peut aider à assouvir la demande en nourriture des populations croissantes, tout en étant également une mesure efficace pour éliminer la faim.
Les forêts et le LULUCF en Europe
Si on regarde de plus près la question des forêts en Europe, on note malheureusement que l'UE n'a pas de mandat pour une politique forestière commune, alors qu’elle en a par exemple pour l’agriculture (Politique Agricole Commune). Par conséquent, il y a un grand nombre de politiques et d’initiatives de l’UE visant les forêts. L'une d'entre elles est la réglementation LULUCF.
Dans le cas de « l’Affaire Climat », une des questions des forêts en jeu est celle liée à LULUCF. En effet, les plaignants contestent le point selon lequel l'engagement obligatoire pour chaque EM est caractérisé par la règle du « no debit ». Cette règle signifie que l’EM doit (juste) compenser la quantité de GES qu'il a émis dans l’atmosphère par une quantité équivalente d’extraction (dans les secteurs de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie), de sorte que la balance finale soit égale à « zéro ». Ceci signifie qu'il n'y a aucune incitation à ce qu'ils augmentent les extractions ou réduisent le déboisement.
La règle du « no debit » montre tout simplement l'absence d'ambition du secteur LULUCF et semble ne pas être en conformité avec l’objectif de l'Accord de Paris consistant à garder la hausse globale de la température en dessous de 2°C.[3] Pourquoi ? Parce que le maintien des puits de carbone n'est pas suffisant ! Les terrains forestiers doivent augmenter de manière significative afin d'avoir un effet positif pour l’« absorption » des GES. Pour cela, il devrait y avoir des extractions nettes.
Cette vue est partagée par les plaignants dans « l’Affaire Climat ». C'était également le point de vue du Parlement Européen quand il a proposé d’aller au-delà de la règle du « no debit », se référant dans ses allégations à l'Accord de Paris et en soulignant que les forêts, les terres agricoles et les zones humides joueront un rôle central pendant la période des émissions négatives, qui commencera dans les plus brefs délais[4].
Un autre problème important que présente la réglementation actuelle permet aux pays européens d'employer un montant limité de crédits (280 Mt de CO2) générés dans le secteur LULUCF pour équilibrer les émissions des secteurs de l’ESR et pour augmenter la déforestation de 10 % [3]. Selon les allégations des plaignants dans « l’Affaire Climat », c'est une mesure inutile de la réglementation LULUCF, dont les objectifs sont réalisables, et qui pourraient d’ailleurs représenter des enlèvements nets de CO2 dans ce secteur.
De ce fait, les plaignants dans « l’Affaire Climat » allèguent que les réductions nettes de la LULUCF devraient être comptées comme contribution à l'enlèvement d'émissions plutôt que permettant aux EM d'émettre plus de GES (jusqu'à 280 millions de t/an) dans des secteurs tels que le transport, les bâtiments, l'agriculture et les déchets.
Un autre aspect important, lié à l'aménagement forestier dans le cadre de LULUCF, est la méthode de mesure des émissions. Selon l'Article 8 de la proposition de réglementation de la Commission de l'UE concernant les émissions de CO2 des secteurs d'utilisation du sol (LULUCF) , les terrains avec la forêt « gérée » sont comptabilisés de la manière que chaque État Membre choisit son propre point de référence (ou année de référence). Cependant, s'il n'y a aucune augmentation significative des émissions de l’année à comparer par rapport au point de référence, les émissions ne seront pas comptabilisées, ce qui est trompeur en regard du véritable état des choses dans le secteur.
Si vous voulez en apprendre plus sur les « échappatoires » dans la réglementation LULUCF, je vous invite à consulter l’article de FERN, une organisation dont le focus principal est « sur les forêts et sur les droits des peuples des forêts dans les politiques et les pratiques de l'Union Européenne ».
Pour conclure, les trois actes juridiques de l'UE semblent avoir des lacunes et ne reflètent pas la pleine capacité de l'Union Européenne dans son action pour le climat. Ainsi, les requérants de « l’Affaire Climat » soutiennent que les obligations légalement contraignantes de l'UE exigent de l'Union d'établir l’objectif global d’au moins de 50% à 60% (en comparaison au niveau de 1990).
Néanmoins, afin d’obtenir gain de cause, les requérants doivent présenter les preuves des dommages qu'ils ont subis en raison de la politique climatique menée par l'UE, et en particulier par les trois actes juridiques décrits ci-dessus. Par conséquent, le deuxième article au sujet d'une ambition plus élevée dans la politique climatique de l'UE donnera une meilleure analyse sur les impacts réels de la politique climatique de l'UE sur la vie des citoyens européens et d’outre-mer. Ceci sera discuté dans le cadre des droits de l'homme et du caractère transfrontalier du droit environnemental et en particulier, de la politique climatique.
[1] – Ni, Y., Eskeland, G. S., Giske, J., & Hansen, J.-P. (2016). The global potential for carbon capture and storage from forestry. Carbon Balance and Management, 11, 3. http://doi.org/10.1186/s13021-016-0044-y
[2] - United Nations Framework Convention on Climate Change, (2017). Forests Day UNFCCC COP23. Bonn, Germany
[3] – Aho, H. (2018). Fern analysis of the EU’s LULUCF Regulation. FERN.
[4] - Amendment 4 and 6 from REPORT of 17 July 2017 on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on the inclusion of greenhouse gas emissions and removals from land use, land use change and forestry into the 2030 climate and energy framework and amending Regulation No 525/2013 of the European Parliament and the Council on a mechanism for monitoring and reporting greenhouse gas emissions and other information relevant to climate change.
*Toute l'information concernant « l’Affaire Climat » a été extraite de l’affaire T-330/18 soumise à la Cour Européenne de la Justice