L'ambition de l’UE dans l'action pour le climat est-elle contraignante… ou non ? - "L'Affaire Climat" dans l'U.E. (partie 1)
Par Anya Coutinho [VERSION FRANCAISE]
Selon le « Sabin Center for Climate Change Law », il y aurait plus de 250 procès en cours contre les gouvernements dans le monde où les États sont confrontés à leur manque d'efforts en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) (sans compter les cas aux USA). Un de ces procès a lieu actuellement au sein de l'Union Européenne (UE), où les citoyens ont décidé de se réunir pour poursuivre les établissements européens en justice, en raison de la violation de leurs droits. Regardons ce cas de plus près pour comprendre les motifs et les implications d'une telle action.
Les plaignants allèguent que l'UE n'entreprend pas assez d'actions pour réduire les émissions de GES, comme prévues dans le Cadre pour le climat et l'énergie à l'horizon 2030 et dans son engagement à l'Accord de Paris. Ces plaignants sont des personnes venant entre autres du sud de la France, du Portugal, des Alpes italiennes, des Carpates roumaines ou, plus surprenant, du nord du Kenya ou même des Fidji. Rappelons que les Fidji ont présidé la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC COP23) à Bonn l'année passée et jouent un rôle important dans l’avancée de la politique de réduction des GES, et aussi du dialogue intergouvernemental (voir le Dialogue de Talanoa).
De ce fait, ces citoyens poursuivent l'UE pour ne pas avoir fixé d’objectifs appropriés pour la réduction des GES dans trois actes législatifs adoptés par le Parlement Européen et le Conseil, qui sont : le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), la Décision Relative à la Répartition de l’Effort (ESR) et l'Utilisation des Terres et du Changement d’Affectation des Terres et de la Foresterie (LULUCF). En outre, selon les plaignants, les faibles objectifs de l'UE constituent également une violation de la loi d'ordre supérieure dont la mission est de protéger les droits fondamentaux de l'homme et d’imposer la protection de l'environnement via notamment, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la Charte des droits fondamentaux de l'UE (ChFR), la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) et l'Accord de Paris.
Selon « l’Affaire Climat », les requérants ont souffert d’une série de dommages à cause de l'action insuffisante pour le climat de l'UE. Par exemple, les incendies ont détruit les moyens de subsistance et les propriétés forestières de certains d'entre eux ; plusieurs ont de toute évidence vécu personnellement la baisse significative de la productivité agricole due aux sécheresses graves, et d’autres ont subi plusieurs conséquences du changement climatique océanique en subissant des pertes graves de revenu ou des déménagements forcés par le changement climatique.
Alors, dans quelle mesure l'UE est-elle responsable de ces dommages et comment est-ce lié à ses obligations ? Des réponses à ces questions peuvent être trouvées dans la partie suivante de cet article.
A quoi l'UE s’est-elle engagée dans l'Accord de Paris ?
Avant la COP21 à Paris en 2015, l'Union Européenne a établi le Cadre pour le climat et l'énergie à l'horizon 2030, dont les objectifs-clés sont de réduire les émissions de GES d'au moins 40% d’ici 2030 (par rapport à 1990), et par la suite de porter la part des énergies renouvelables et d’améliorer le rendement énergétique d’au moins 27% chacun.
Les instruments législatifs pour atteindre ces objectifs incluent les trois actes juridiques poursuivis dans « l’Affaire Climat ».
1. Le premier est le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), qui est considéré comme le plus grand marché de carbone au monde.
Dans ce système, les émissions de dioxyde de carbone sont suivies et échangées comme une marchandise quelconque. Son but est de fixer une limite sur la quantité d'émissions de GES qui peuvent être émis par une série de secteurs économiques et d’entreprises. Ceux-ci, de fait, achètent ces autorisations de polluer. Chacun de ces permis, appelés allocations de l'UE, autorise l’émission d’une tonne de CO2. Le but à long terme de cette réglementation est de rendre la limite chaque année légèrement plus contraignante. Cela devrait faire atteindre à terme les objectifs climatiques de l'UE. L'ETS couvre approximativement 40% des émissions de GES de l'UE. Vous pouvez regarder une vidéo explicative du système d’échange de ces quotas ici.
Selon « l’Affaire Climat », de grandes quantités d'allocations ont été attribuées gratuitement au début, ce qui a mené à leur excès sur le marché. En effet, la Commission Européenne admet que cet excédent existe depuis 2009 (au total, 2 milliards de quotas en 2009 et 2,1 milliards en 2013Elle reconnaît qu’à cause de cela, le prix du carbone est tombé induisant ainsi une incitation plus faible à réduire les émissions. La Commission a pris des mesures et a trouvé une solution à long terme en créant une Réforme structurelle du SEQE-UE (qui entrera en vigueur en janvier 2019), afin de remédier à l'excédent mentionné. Les requérants de “ l’Affaire Climat » déclarent que la mesure prise mènera à une réduction très faible du nombre d'allocations sur le marché. Ainsi, ils appellent à une ambition plus élevée pour l'ETS.
Le Climate Action Network Europe (CAN), une Coalition Européenne d'ONG sur le changement climatique et l'énergie, soutient les plaignants et allègue que la politique actuelle permet aux entreprises de retarder ou d’annuler leurs investissements dans des productions plus propres et efficaces. De plus, la législation actuelle permettra à ces secteurs, qui contribuent en grande partie aux émissions de GES (presque à 50%) en Europe, de continuer à polluer pendant les 10 années à venir, voire plus longtemps.
En outre, vu la forte dépendance de l'ETS aux ressources énergétiques renouvelables, une politique ambitieuse et des réformes sont nécessaires pour un essor des énergies renouvelables. À cet égard, les requérants ont soumis la récente recherche affirmant qu'une augmentation de 35% (minimum) d'énergies renouvelables est faisable, comparé à l’objectif de l'UE de 27% (d'ici 2030). Cette déclaration est cohérente avec le fait que le Parlement Européen a soutenu une cible de 35% d'énergies renouvelables en 2017, et que l’UE a adopté une réglementation en juin 2018 imposant une augmentation des énergies renouvelables de 32% d’ici 2030 dans l’Union, qui inclut une révision postérieure ainsi qu’une hausse.
2. Le deuxième acte juridique est la Décision Relative à la Répartition de l’Effort (ESR), qui concerne spécifiquement l'Union Européenne.
Ses cibles concernent les « émissions de la plupart des secteurs non inclus dans le système de commerce d'émissions d'UE (ETS), comme le transport, les bâtiments, l'agriculture et les déchets ». Contrairement à l’ETS, qui est réglementé au niveau communautaire, l'ESR confie la responsabilité à ses États Membres d’adopter les politiques et prendre les mesures nécessaires (favorisant par exemple les transports en commun, un changement modal des transports basés sur les combustibles fossiles vers des transports plus propres, des chauffages et des systèmes de refroidissement plus efficaces) pour limiter les émissions de GES des secteurs mentionnés ci-dessus. Selon la Commission Européenne, les « cibles nationales atteindront collectivement une réduction d’environ 30% d'ici 2030, comparé à 2005 ».
Cependant, les plaignants affirment que l’objectif d'ESR est trop peu ambitieux. En effet, CAN Europe par exemple, suggère que l’objectif d'ESR soit augmenté de -30% à au moins -47% pour les secteurs non-ETS afin de rendre l'ESR plus efficace, en augmentant l’objectif tous les 5 ans. D'ailleurs, il souligne également le besoin d'un point de départ plus bas en 2021 (plus rigoureux) dans les États Membres, considérant la projection de leurs émissions et leur objectif de 2020.
3. Le troisième acte juridique européen contesté par les plaignants dans « l’Affaire Climat » est la réglementation sur l'Utilisation des Terres et du Changement d’Affectation des Terres et de la Foresterie (LULUCF).
Cet acte juridique est «relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultants de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d'action pour le climat et l’énergie à l'horizon 2030». En raison de la taille et de la grandeur de cette réglementation, il convient d'accorder une attention particulière à LULUCF. C’est pourquoi, nous présentons l’analyse de LULUCF et les allégations des plaignants dans « l’Affaire Climat » concernant ses objectifs dans la deuxième partie de cet article.
Suivez-nous sur notre page du Projet ULB InsideCOPs.
*Toute l'information concernant “ l’Affaire Climat » a été extraite de l’affaire T-330/18 soumise à la Cour Européenne de la Justice.
Remerciements
Je voudrais exprimer ma gratitude particulière à mes collègues Cloé Mathurin pour son aide dans l’écriture de cet article, à Aurélie Vermeulen pour son aide dans la traduction en français et à Benjamin Van Bocxlaer pour son assistance.
Les plaignants allèguent que l'UE n'entreprend pas assez d'actions pour réduire les émissions de GES, comme prévues dans le Cadre pour le climat et l'énergie à l'horizon 2030 et dans son engagement à l'Accord de Paris. Ces plaignants sont des personnes venant entre autres du sud de la France, du Portugal, des Alpes italiennes, des Carpates roumaines ou, plus surprenant, du nord du Kenya ou même des Fidji. Rappelons que les Fidji ont présidé la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC COP23) à Bonn l'année passée et jouent un rôle important dans l’avancée de la politique de réduction des GES, et aussi du dialogue intergouvernemental (voir le Dialogue de Talanoa).
De ce fait, ces citoyens poursuivent l'UE pour ne pas avoir fixé d’objectifs appropriés pour la réduction des GES dans trois actes législatifs adoptés par le Parlement Européen et le Conseil, qui sont : le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), la Décision Relative à la Répartition de l’Effort (ESR) et l'Utilisation des Terres et du Changement d’Affectation des Terres et de la Foresterie (LULUCF). En outre, selon les plaignants, les faibles objectifs de l'UE constituent également une violation de la loi d'ordre supérieure dont la mission est de protéger les droits fondamentaux de l'homme et d’imposer la protection de l'environnement via notamment, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la Charte des droits fondamentaux de l'UE (ChFR), la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) et l'Accord de Paris.
Selon « l’Affaire Climat », les requérants ont souffert d’une série de dommages à cause de l'action insuffisante pour le climat de l'UE. Par exemple, les incendies ont détruit les moyens de subsistance et les propriétés forestières de certains d'entre eux ; plusieurs ont de toute évidence vécu personnellement la baisse significative de la productivité agricole due aux sécheresses graves, et d’autres ont subi plusieurs conséquences du changement climatique océanique en subissant des pertes graves de revenu ou des déménagements forcés par le changement climatique.
Alors, dans quelle mesure l'UE est-elle responsable de ces dommages et comment est-ce lié à ses obligations ? Des réponses à ces questions peuvent être trouvées dans la partie suivante de cet article.
A quoi l'UE s’est-elle engagée dans l'Accord de Paris ?
Avant la COP21 à Paris en 2015, l'Union Européenne a établi le Cadre pour le climat et l'énergie à l'horizon 2030, dont les objectifs-clés sont de réduire les émissions de GES d'au moins 40% d’ici 2030 (par rapport à 1990), et par la suite de porter la part des énergies renouvelables et d’améliorer le rendement énergétique d’au moins 27% chacun.
Les instruments législatifs pour atteindre ces objectifs incluent les trois actes juridiques poursuivis dans « l’Affaire Climat ».
1. Le premier est le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), qui est considéré comme le plus grand marché de carbone au monde.
Dans ce système, les émissions de dioxyde de carbone sont suivies et échangées comme une marchandise quelconque. Son but est de fixer une limite sur la quantité d'émissions de GES qui peuvent être émis par une série de secteurs économiques et d’entreprises. Ceux-ci, de fait, achètent ces autorisations de polluer. Chacun de ces permis, appelés allocations de l'UE, autorise l’émission d’une tonne de CO2. Le but à long terme de cette réglementation est de rendre la limite chaque année légèrement plus contraignante. Cela devrait faire atteindre à terme les objectifs climatiques de l'UE. L'ETS couvre approximativement 40% des émissions de GES de l'UE. Vous pouvez regarder une vidéo explicative du système d’échange de ces quotas ici.
Selon « l’Affaire Climat », de grandes quantités d'allocations ont été attribuées gratuitement au début, ce qui a mené à leur excès sur le marché. En effet, la Commission Européenne admet que cet excédent existe depuis 2009 (au total, 2 milliards de quotas en 2009 et 2,1 milliards en 2013Elle reconnaît qu’à cause de cela, le prix du carbone est tombé induisant ainsi une incitation plus faible à réduire les émissions. La Commission a pris des mesures et a trouvé une solution à long terme en créant une Réforme structurelle du SEQE-UE (qui entrera en vigueur en janvier 2019), afin de remédier à l'excédent mentionné. Les requérants de “ l’Affaire Climat » déclarent que la mesure prise mènera à une réduction très faible du nombre d'allocations sur le marché. Ainsi, ils appellent à une ambition plus élevée pour l'ETS.
Le Climate Action Network Europe (CAN), une Coalition Européenne d'ONG sur le changement climatique et l'énergie, soutient les plaignants et allègue que la politique actuelle permet aux entreprises de retarder ou d’annuler leurs investissements dans des productions plus propres et efficaces. De plus, la législation actuelle permettra à ces secteurs, qui contribuent en grande partie aux émissions de GES (presque à 50%) en Europe, de continuer à polluer pendant les 10 années à venir, voire plus longtemps.
En outre, vu la forte dépendance de l'ETS aux ressources énergétiques renouvelables, une politique ambitieuse et des réformes sont nécessaires pour un essor des énergies renouvelables. À cet égard, les requérants ont soumis la récente recherche affirmant qu'une augmentation de 35% (minimum) d'énergies renouvelables est faisable, comparé à l’objectif de l'UE de 27% (d'ici 2030). Cette déclaration est cohérente avec le fait que le Parlement Européen a soutenu une cible de 35% d'énergies renouvelables en 2017, et que l’UE a adopté une réglementation en juin 2018 imposant une augmentation des énergies renouvelables de 32% d’ici 2030 dans l’Union, qui inclut une révision postérieure ainsi qu’une hausse.
2. Le deuxième acte juridique est la Décision Relative à la Répartition de l’Effort (ESR), qui concerne spécifiquement l'Union Européenne.
Ses cibles concernent les « émissions de la plupart des secteurs non inclus dans le système de commerce d'émissions d'UE (ETS), comme le transport, les bâtiments, l'agriculture et les déchets ». Contrairement à l’ETS, qui est réglementé au niveau communautaire, l'ESR confie la responsabilité à ses États Membres d’adopter les politiques et prendre les mesures nécessaires (favorisant par exemple les transports en commun, un changement modal des transports basés sur les combustibles fossiles vers des transports plus propres, des chauffages et des systèmes de refroidissement plus efficaces) pour limiter les émissions de GES des secteurs mentionnés ci-dessus. Selon la Commission Européenne, les « cibles nationales atteindront collectivement une réduction d’environ 30% d'ici 2030, comparé à 2005 ».
Cependant, les plaignants affirment que l’objectif d'ESR est trop peu ambitieux. En effet, CAN Europe par exemple, suggère que l’objectif d'ESR soit augmenté de -30% à au moins -47% pour les secteurs non-ETS afin de rendre l'ESR plus efficace, en augmentant l’objectif tous les 5 ans. D'ailleurs, il souligne également le besoin d'un point de départ plus bas en 2021 (plus rigoureux) dans les États Membres, considérant la projection de leurs émissions et leur objectif de 2020.
3. Le troisième acte juridique européen contesté par les plaignants dans « l’Affaire Climat » est la réglementation sur l'Utilisation des Terres et du Changement d’Affectation des Terres et de la Foresterie (LULUCF).
Cet acte juridique est «relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultants de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d'action pour le climat et l’énergie à l'horizon 2030». En raison de la taille et de la grandeur de cette réglementation, il convient d'accorder une attention particulière à LULUCF. C’est pourquoi, nous présentons l’analyse de LULUCF et les allégations des plaignants dans « l’Affaire Climat » concernant ses objectifs dans la deuxième partie de cet article.
Suivez-nous sur notre page du Projet ULB InsideCOPs.
*Toute l'information concernant “ l’Affaire Climat » a été extraite de l’affaire T-330/18 soumise à la Cour Européenne de la Justice.
Remerciements
Je voudrais exprimer ma gratitude particulière à mes collègues Cloé Mathurin pour son aide dans l’écriture de cet article, à Aurélie Vermeulen pour son aide dans la traduction en français et à Benjamin Van Bocxlaer pour son assistance.