Au cœur de l’Accord de Paris se trouvent les Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Dans le cadre de ces plans nationaux les pays proposent les politiques, stratégies, programmes, etc. qu’ils vont mettre en œuvre afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais est-ce que tous les efforts entrepris doivent l'être sur le territoire national ? Eh bien, pas nécessairement.
C'est précisément le rôle de l'Article 6 de l'Accord de Paris que de tenter de réguler la possibilité de transférer des crédits entre des pays. En clair si un pays A investit dans un pays B pour diminuer les émissions, cette réduction d'émission pourrait être mise à son crédit dans le CDN du pays A. Cette coopération internationale était déjà utilisée dans le Protocole de Kyoto à travers différents mécanismes via le MDP (Mécanisme de Développement Propre) et le JI (« Joint Implementation »). Ces deux mécanismes permettent que des projets de réduction des émissions dans un pays tiers procurent des crédits de carbone au pays investisseur qui peut du coup ‘compenser’ ses émissions grâce à ces crédits (‘offsetting mechanism’). Une grande variété de projets (énergie éolienne, récupération de chaleur perdue, centrales hydroélectriques) a été mise en œuvre ces dernières quinze années dans 111 pays différents (Asie, Amérique latine et Afrique).
S’appuyant sur ces expériences, l’Article 6 de l’Accord de Paris prévoit trois mécanismes qui permettent aux pays de coopérer. Les pays peuvent volontairement se transmettre les résultats de cette coopération et les utiliser pour atteindre les objectifs de leurs CDN.
Quels sont les promesses et les risques de ces mécanismes ? Les mécanismes de coopération ont la capacité d’obtenir des réductions d'émission à moindre coût et d’augmenter ainsi "l’ambition" des réductions mondiales. Néanmoins, beaucoup de critiques s'élèvent à l’encontre de ce type de coopération. D'abord, la comptabilisation des réductions et des transferts constituent des questions techniques complexes. Par exemple il est difficile de déterminer les bases sur lesquelles on mesurera les réductions des émissions à comptabiliser dans les projets financés. Surtout, une question clé est comment atteindre l’objectif d'“intégrité environnementale”. Pour l’UE, l’intégrité environnementale signifie que les transferts résultent en un total d’émissions mondiales qui est moindre, ou égal, que dans le cas où il n’y aurait pas de transferts internationaux.
Or, dans le MDP, beaucoup de projets n'ont pas créés des réductions d'émissions réellement additionnelles. Une étude récente estime que jusqu'à 85% des projets n’ont pas amené une réduction des émissions additionnelles[1]. Cette étude utilise des assomptions plutôt strictes et a reçu beaucoup de critique, mais montre en tout cas que l’additionnalité n’est pas une donnée absolue. Différents facteurs vont influencer l’intégrité environnementale de l’Article 6. D’abord, une comptabilité robuste doit permettre d’éviter le « double comptage » de la même unité par deux pays (le pays "donateur" qui comptabilise les crédits du projet qu'il a financé, et le pays "receveur" qui diminue ses émissions et comptabiliserait ces réduction dans son CDN).
Un autre facteur qui est décrit dans une nouvelle étude de Stockholm Environment Institute est la détermination des objectifs de réduction des émissions dans les CDN. Quand un pays définit des objectifs dans son CDN qui sont moins ambitieux que ce qui se passerait sans action pour réduire les émissions (BAU: Business as usual), il y a un risque de création de ce qu'on appelle le « hot air ». Dans ce cas, le pays ne doit pas faire aucun effort additionnel à la politique déjà en vigueur afin d'atteindre ses objectifs. Il peut "vendre" et tirer des bénéfices de cette ‘non-action’.
La figure ci-dessous présente le « hot air » d'un pays, qui est en fait la différence entre les projections d'émission BAU du pays (en bleu) et l’objectif des émissions dans le CDN du pays (carré au-dessus). Dans ce cas, le pays va atteindre son objectif BAU sans faire aucun effort additionnel, mais il pourrait quand même "vendre" des crédits. C'est un phénomène que l'on a aussi vu à l'œuvre dans le cadre du Protocole de Kyoto pour certains pays.
Source: Stockholm Environment Institute, Working Paper 2017-10 (ITMO: Internationally transferred mitigation outcomes)
Cette étude indique que les CDN qui sont actuellement proposé par les pays apportent une grande potentiel for « hot air ». L’étude évalue notamment comment l'accès à l'Article 6 pourrait être limité afin que les mécanismes de marché permettent effectivement d'augmenter l'ambition (et donc l'intégrité environnementale) au lieu de la diminuer.
Les risques liés à la coopération internationale montrent qu'il est donc essentiel que les règles de l’Article 6 soient adoptées d'une manière rigoureuse et ambitieuse. A la COP23, les parties prenantes ont avancé sur les premières étapes pour l’adoption de règles en ce sens, mais il n'y a pas encore d'accord. Ce processus pour définir les règles continuera donc d'ici à la prochaine COP en Pologne en 2018.
Remerciements: Sophie Closson, Justine Guiny, Edwin Zaccai
[1] Oeko-institute, 2016, How additional is the Clean Development Mechanism? (https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/docs/clean_dev_mechanism_en.pdf)