13/12/2018 - Les négociations de l’humanité ou l’humanité des négociations. Petit aperçu subjectif de la COP - Par Chloé Deffet
La COP, c'est quoi ? Des négociations sans fin ? Un manque généralisé d'ambition pour sauver humains et écosystèmes (enfin, les plus vulnérables d'entre eux) ? Un cirque géant où la moitié des observateurs n'écoutent que d'une oreille pendant les événements, obnubilés par les réseaux sociaux ? La COP, c'est tout cela et bien plus à la fois. Tout d’abord, il n’y a pas une COP, mais plutôt deux COP, deux mondes qui évoluent en parallèle et n’entretiennent que des interactions limitées. D'un côté, le monde des « side events » (pour faire simple, des conférences). Les ONGs en organisent pour montrer leur activisme et entretenir l’illusion qu’elles ont une sorte d’influence sur l’issue des négociations. Les États ne sont pas en reste, en pavoisant dans leurs pavillons et en montrant par leurs propres side events leur engagement dans la lutte contre le changement climatique (je dois bien avouer une petite préférence pour le pavillon de la Grande-Bretagne, la qualité de ses intervenants et les verres de vin). D'un autre côté, dans un monde parallèle, les délégués des États parties à la Convention sur les changements climatiques font le vrai boulot et naviguent de consultations en réunions. Ces consultations, qui portent des doux noms comme le "SBSTA contact group on modalities for the accounting of financial resources provided and mobilized through public interventions in accordance with Article 9, paragraph 7, of the Paris Agreement", sont le lieu de négociations techniques, préparatoires à la phase politique, qui commence pendant cette deuxième semaine de la COP. Les consultations sont, pour la plupart, ouvertes aux observateurs, mais, à part pour quelques initiés et experts des COP, leur technicité est telle qu'il est difficile de comprendre quoi que ce soit aux discussions. Et, sans une expérience poussée dans le domaine hautement scientifique de la "lecture entre les lignes", il est tout aussi difficile de comprendre la signification des déclarations des délégués des États. Cependant, il arrive, lors de quelques instants de grâce, que ces déclarations soient limpides, d'une honnêteté presque troublante dans le jeu diplomatique des sous-entendus. Par exemple, lorsqu’un délégué chinois remercie le président de la consultation pour lui avoir donné le « push dont il avait besoin » et l'encouragement nécessaire pour accepter le texte en négociation. Il arrive aussi, de manière inattendue, de vivre des moments touchants, où les émotions ne peuvent être retenues, probablement exacerbées par la fatigue et le stress. Ce fut le cas notamment lors de la dernière session de consultation sur l'article 6 de l'Accord de Paris (les rares intéressés pourront vérifier par eux-mêmes son contenu...). Nous sommes le samedi 8 décembre à midi, trois heures avant la clôture de la phase préparatoire, d'où une certaine pression d’aboutir à un accord. La session de la veille a apparemment été houleuse, avec des opinions variées exprimées par les États et des difficultés à atteindre un compromis sur le texte. En ce samedi midi donc, les deux présidents de la session, l'air fatigué, commence par s'excuser d'avoir partagé tardivement la nouvelle proposition de texte (celle-ci a été téléchargée sur le site de l'UNFCCC à 10h), avouant avoir passé la nuit à retravailler le texte pour essayer d'y intégrer tant bien que mal les préoccupations des États. Deux délégués ne peuvent s'empêcher de chuchoter que la co-présidente porte effectivement les mêmes vêtements que la veille. Après une heure de négociations, un accord est enfin trouvé par les États, qui remercient les présidents pour l'énorme travail accompli. La session se termine par des applaudissements, un sentiment de soulagement et une "photo de famille", où, l'espace d'un instant, les délégués du monde entier ont l'air unis et solidaires. Elle se termine aussi par les larmes de la co-présidente et les embrassades entre collègues. Ce moment émouvant nous rappelle que, derrière ces négociations sans fin sur le climat, il y a des êtres humains. Des personnes qui s'investissent pour faire avancer les choses, même d'un pas, même si ce n'est pas suffisant. Des délégués d'Etats parfois frustrés du peu d'avancées ou de la position qu'ils doivent défendre, mais qui tentent, au cours de la première semaine de la COP, de préparer un terreau propice aux décisions politiques qui devront suivre cette semaine (certains d'entre eux en tout cas…). Ce moment nous rappelle la dimension humaine des négociations et toutes les émotions que celles-ci peuvent engendrer. Cette humanité est-elle notre force ou notre faiblesse ? Difficile à savoir... Mais à toutes ces personnes, qui vivent et ressentent les négociations pour le climat, qui travaillent sans cesse pour obtenir des progrès, aussi minimes soient-ils, j'aimerais dire : courage !